C’est sans maître ni modèle que Camille Claudel commence à travailler la glaise – figures (perdues) de personnages illustres, esquisse d’un David et Goliath réalisée dans sa douzième ou treizième année. En 1881, sa famille déménage à Paris. L’année suivante, l’artiste réalise le buste de La Vieille Hélène, qui donne à voir la fin de la période d’apprentissage. Elle a alors 17 ans, suit les cours de l’académie Colarossi et emménage dans son premier atelier. Alfred Boucher, sculpteur nogentais, suit ses travaux, mais en partance pour l’Italie, il demande à Auguste Rodin de le remplacer. Entrée comme élève dans l’atelier de Rodin – c’est alors la genèse de La Porte de l’Enfer (1880-vers 1890) –, la sculptrice devient rapidement sa collaboratrice, sa confidente, son alter ego. Leurs œuvres s’influencent et se fondent. Au cours du printemps 1886, leurs relations devenant très tendues, elle s’échappe en Angleterre. À son retour, Rodin rédige et signe une note, où il s’engage à être son protecteur et à l’épouser. Ils travaillent à quelques mètres l’un de l’autre. La Valse (1889-1905), qui exprime avec sensualité l’enivrement de l’amour, des corps emportés jusqu’à la perte de l’équilibre, entraîne C. Claudel vers la renommée. Elle cherche à obtenir une commande d’État pour sa réalisation en marbre, doit amender la composition et habiller ses danseurs : sa nouvelle version de 1892 est finalement défendue par l’inspecteur des beaux-arts, Armand Dayot ; l’arrêté ne fut jamais signé, mais l’œuvre est fondue en bronze, exposée en 1893, et admirée comme un chef-d’œuvre en harmonie avec l’esprit symboliste et l’Art nouveau. Célèbre Valse, triste Valse pourtant ; alors qu’elle lui apporte la reconnaissance, sa vie est soudain brisée : 1893 est en effet l’année de sa rupture avec Rodin. Elle crée alors Clotho, Parque enroulée dans les serpents de sa chevelure, vieillarde au corps défait, au rictus morbide. Puis débute la longue genèse de sa première commande d’État : L’Âge mûr (1894-1900), figure d’un homme partagé entre une femme âgée, qui le soutient, et une jeune, qui le supplie – cette figure, reprise seule, deviendra L’Implorante (1893-1897). La sculpture parle d’elle-même : Rodin avait renoncé à quitter Rose Beuret, sa compagne depuis trente ans, et partait vivre avec elle à Bellevue. Au-delà de la douleur dont elle est empreinte, l’œuvre révèle l’indépendance artistique de la sculptrice. Fruit de tant de travail et d’isolement, évocation de tant de souffrances, L’Âge mûr signe l’entrée de l’artiste dans le temps du désespoir. C’est pourtant à cette période qu’elle conçoit ses œuvres les plus originales, les « croquis d’après nature » (1893-1905), petits formats précieux, alliant bronze, pierre ou onyx-marbre. Si les premiers d’entre eux sont des instantanés de vie, les suivants se concentrent dans les abîmes du songe et de la solitude. En 1899, C. Claudel s’installe au 19, quai Bourbon ; peu à peu se développent en elle le sentiment d’une persécution, la peur d’une spoliation de son œuvre – par Rodin, dont elle a eu tant de mal à se détacher. L’épuisement la gagne ; son inspiration, elle aussi, faiblit. À partir de 1905, alors qu’Eugène Blot accueille dans sa galerie une exposition consacrée à son œuvre, elle procède à la destruction systématique de ses sculptures. Paul Claudel, son frère, demande alors son « placement volontaire ». Le 10 mars 1913, C. Claudel est emmenée à l’asile de Ville-Évrard, puis transférée à Montdevergues le 12 février 1915. Elle y rendra son dernier souffle. Au cours de ses trente années d’internement, aucune nouvelle, aucune lettre ne lui parvient : c’est la consigne express que sa mère renouvelle sans cesse auprès de l’administration de l’asile ; et quand les médecins proposent une permission de sortie ou un établissement plus proche de Paris, l’opposition est tout aussi nette. La sculptrice écrit sans relâche et réclame la liberté, la liberté quelle qu’elle soit : juste « une grange à Villeneuve » et « réaliser ce rêve : être chez soi ». En mars 2017, le Musée Camille Claudel a été inauguré à Nogent-sur-Seine, regroupant la plus grande collection des œuvres de l'artiste.
Anne LEMONNIER
Consultez cet article illustré sur le site d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions