Issue d’une famille de la nouvelle bourgeoisie de la fin du XIXe siècle, Delmira Agustini émerge de façon précoce dans le monde littéraire, laissant exploser des ambivalences surprenantes : intelligente, audacieuse, belle, respectueuse des normes et des conventions sociales de son époque, elle a une histoire personnelle tragique, dont s’emparent les journalistes et critiques littéraires. À l’âge de 28 ans, quand son ex-mari, redevenu son amant, la tue, elle a déjà publié trois recueils de poèmes. Après avoir reçu une éducation réservée aux jeunes filles des classes privilégiées, elle se transforme peu à peu en symbole du modernisme. L’une des caractéristiques de ce mouvement est son ambiguïté : l’esthétique moderniste s’oppose à la perspective bourgeoise dominante en ouvrant des espaces culturels à ceux qui se sentent exclus d’un certain contexte social, délimité par les autorités de l’époque. Mais le mouvement a aussi l’ambition d’être intégré parmi les rangs des classes qui détiennent le pouvoir. D. Agustini est la seule poétesse reconnue dans les meilleures anthologies du modernisme latino-américain. Avec celle du Nicaraguayen Rubén Darío, son œuvre est emblématique du modernisme. Sa langue poétique maîtrisée et raffinée capte les préoccupations intellectuelles et artistiques de l’époque. Elle trouve dans la poésie un moyen d’affronter les changements qui s’opèrent dans la répartition des rôles entre les sexes. L’érotisme lui permet de s’approprier la sensualité moderniste et de prendre une place centrale dans les lettres hispaniques. Dans El libro blanco (1907), elle cherche à briser les normes qui contraignent les individus, la langue et l’art. Le changement et la complexité structurent la pensée poétique de la jeune D. Agustini et lui permettent de prendre possession du langage de la sexualité et de l’érotisme, avec lequel elle répond aux images sexuelles de la poésie de R. Darío. Dans Cantos de la mañana (« chants du matin », 1910) et Los cálices vacios (« les calices vides », 1913), sa poésie acquiert son originalité. Dans ces recueils de poèmes, la narratrice devient séductrice et actrice de sa propre sexualité.
María Rosa OLIVERA-WILLIAMS