Fille d’un tsigane accordéoniste et d’une mère gadjé d’origine croate, Ljiljana Petrović chante dans les hôtels le répertoire populaire des années d’après-guerre, notamment le folklore yougoslave, des tangos, des romances hongroises, de la chanson française et des boléros espagnols. Elle se familiarise très tôt avec le répertoire de sa mère au point de la remplacer au pied levé, alors qu’elle est encore adolescente, dans un hôtel de Bijelnjia. La jeune chanteuse apprend les classiques de la sevdah, un blues bosniaque fortement influencé par la culture ottomane. Elle interprète également Édith Piaf, Sarita Montiel ou Mahalia Jackson et devient musicienne professionnelle et mère d’un premier enfant à l’âge de 16 ans. L. Petrović rejoint Belgrade et la scène nocturne des kafanas, les cafés-concerts du quartier Skadarlija. Elle enregistre son premier 45-tours en 1969. Sa chanson Duško est typique d’une nouvelle musique tsigane yougoslave influencée par les musiques occidentales, le jazz et la chanson dont le représentant le plus célèbre est alors le chanteur Šaban Bajramović. Dans les années 1970 et 1980, considérée comme chanteuse tsigane, L. Petrović enregistre de nombreux disques dans ce style pour les compagnies des divers États yougoslaves (RTV, RTS, Jugoton), tout en continuant de reprendre sur scène Frank Sinatra ou des musiques traditionnelles. En 1987, confrontée à la montée des nationalismes dans son pays ainsi qu’au déclin de la scène des kafanas, elle abandonne sa carrière d’artiste et quitte la Yougoslavie avec ses enfants pour l’Allemagne. Refusant de chanter pour des communautés yougoslaves désormais divisées, elle travaille comme nettoyeuse, serveuse ou femme de ménage. Elle se remarie avec un citoyen allemand et abandonne son nom de jeune fille pour devenir L. Buttler. Un jeune producteur de Bosnie, Dragi Sestic, la persuade de revenir à la scène en 2002. Accompagnée d’un groupe bosniaque, le Mostar Sevdah Reunion, elle enregistre alors sous son nouveau nom trois albums comportant ses compositions en langue romani ainsi que des classiques de la sevdah : The Mother of Gypsy Soul (2004) ; The Legends of Life(2007) et Frozen Roses (2009). Sa voix particulièrement grave, sa taille imposante et sa gouaille sur scène lui valent la reconnaissance et des tournées internationales jusqu’à son décès.
Thierry SARTORETTI