Héritière de deux mondes qui se sont violemment affrontés dans les années 1930 lors de la soviétisation, Ogdo Aksënova est née dans une famille nomade. Elle découvre avec bonheur, à l’école-internat de Noril’sk, le monde des lettres et les auteurs de l’Union soviétique. Dès la troisième classe, elle compose dans la langue de Lénine quelques vers, des récits en prose, puis des poèmes, jusqu’à célébrer plus tard l’ouverture sur le monde que représente l’arrivée des tracteurs à Voločanka en 1953 : « Une caravane de traîneaux rugissants et lumineux. » Sa langue maternelle, quant à elle, fait l’école buissonnière, qui n’est pas encore normée par les autorités et demeure l’ornement de la littérature orale d’un peuple aux « fourrures plus légères que les nuages de l’été ». Institutrice, bibliothécaire et directrice d’un Čum rouge (« tente rouge », sorte de relais local du pouvoir placé sur l’itinéraire des nomades), dans différents villages du canton de Khatanga, elle collecte le patrimoine des siens tout en créant, dès 1960, des chants à partir de mélodies populaires et de la langue contemporaine, afin que la culture vivante dolgane échappe aux musées ethnographiques et à la folklorisation. Alors même que sa langue, pas encore fixée, est désormais frappée d’interdit dans les écoles, O. Aksënova publie des poèmes bilingues dolgane-russe (Baraksan, 1973) ; elle établit un abécédaire expérimental (Bèsèlèè bukvalar, « l’abécédaire gai », 1981) et un dictionnaire bilingue (Bisernaja boroda, « la barbe de perles de verre », 1992). En constituant une culture écrite pour les siens, elle s’adresse dès lors au monde russe d’égal à égal. Elle entre à l’Union des écrivains en 1976.
Dominique SAMSON NORMAND DE CHAMBOURG