La régularité et la sobriété des formes d’Agnes Martin ont souvent conduit à associer cette figure majeure du XXe siècle au courant minimaliste. Toutefois, elle-même se considérait plus proche des expressionnistes abstraits, ses contemporains et premiers modèles en peinture. Née dans une famille de tradition religieuse, elle part en 1932 étudier puis enseigner aux États-Unis. À New York, elle découvre l’expressionnisme abstrait et la philosophie zen, et commence à peindre. En 1947, elle s’installe au Nouveau-Mexique dont elle apprécie la beauté. Les œuvres de cette époque (qu’elle détruira plus tard) sont inspirées du surréalisme. La galeriste Betty Parsons* la fait revenir à New York, en 1957, où elle rencontre Barnett Newman, Ad Reinhardt ou encore Ellsworth Kelly et Jasper Johns. D’abord composée de larges bandes colorées horizontales, sa peinture s’oriente vers une palette de gris et de bruns. Le milieu des années 1960 est pour elle synonyme de la maturité en peinture. Elle adopte le format carré, typique du XXe siècle, qu’elle conservera toute sa vie. Traçant des lignes de crayon à la main, elle travaille à l’huile (puis à l’acrylique) sur des toiles non préparées. À l’inverse de toute vision mécanique, une irrégularité de la toile, un tremblement de la main ou une pression de la règle animent ses toiles d’une vie et d’une émotion intenses. A. Martin considérait la musique comme l’une des formes d’art les plus élevées, et ses peintures et dessins, qui semblent se lire comme des partitions, sont parfois comparés à l’œuvre de Paul Klee. Son travail, fruit d’une réflexion méditative, ne vise en rien à refléter la réalité. Une crise personnelle la conduit à retourner au Nouveau-Mexique en 1967. Elle se construit une maison de terre et cesse de peindre pendant sept ans. En 1974, elle accepte à nouveau d’exposer ; elle est alors devenue une légende. Dans la solitude et la concentration, elle poursuit son travail sur la grille, avec des toiles à échelle humaine, de 183 x 183 centimètres, couvertes de gesso, un mélange de plâtre qui absorbe et réfléchit la lumière. Les tons doux de ces bandes, horizontales ou verticales, rappellent les maisons des Indiens. Les traits s’arrêtent parfois avant le bord de la toile, dans un effet de flottement. Ses œuvres tardives ont des tons gris foncé, proches de la peinture chinoise. Comme A. Martin l’a souvent exprimé dans ses nombreux écrits, c’est l’aspiration à un certain classicisme poétique qui semble l’avoir guidée, pour autant qu’il représente une forme d’idéal de l’esprit.
Anaël PIGEAT
Consultez cet article illustré sur le site d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions