Auteure de l’œuvre la plus vaste produite par une écrivaine équatorienne, tardivement reconnue, Alicia Yánez Cossío démontre sa fidélité à une vocation littéraire contrée en permanence par des circonstances difficiles. Née dans une famille de 12 enfants, elle est scolarisée dans une école religieuse où elle commence à écrire. Mariée à un étudiant cubain – avec lequel elle aura cinq enfants dont un deviendra à son tour écrivain –, elle s’installe à Cuba peu avant la Révolution et soutient les transformations sociales, avant de fuir à Quito avec sa famille, en raison de divergences avec le régime. Ses premières publications sont un recueil de poésie,
Luciolas (« lucioles », 1949), et une pièce de théâtre,
Hacía el Quito de ayer (« vers le Quito d’hier », 1951). Le roman
Bruna, soroche y los tíos (« Bruna, la torpeur et les oncles », 1972), salué par la critique dès sa parution, raconte de façon peu conventionnelle une histoire de famille tout en mélangeant légende, fantaisie et réalité.
El beso y otras fricciones (« le baiser et autres frictions », 1974) est un recueil de nouvelles de science-fiction, publié à une époque où le genre n’en est qu’à ses débuts en Équateur. Dans
Yo vendo unos ojos negros (« je vends une paire d’yeux noirs », 1979), s’affirme sa préférence pour les personnages féminins et leur vision spécifique du monde. L’héroïne remet en question le rôle traditionnellement attribué aux femmes, tout en déplorant les règles qu’impose une société de consommation omniprésente.
Más allá de las islas (« au-delà des îles », 1980) est, selon l’auteure, la meilleure de ses oeuvres, pour la vigueur de sa prose et la qualité de son récit. Elle exploite aussi, avec talent, une veine ironique et satirique, comme dans
La cofradía del mullo del vestido de la Virgen pipona (« la confrérie de la verroterie de la robe de la Vierge ventrue », 1985) ou
La casa del sano placer (« la maison du sain plaisir », 1989), qui a pour sujet l’hypocrisie de la société au sujet de la prostitution. Avec
El cristo feo (« le christ laid », 1995), A. Yánez Cossío se fait remarquer hors d’Équateur et obtient le prix Sor-Juana-Inés-de-la-Cruz en 1997. Les personnages historiques donnent matière à ses romans les plus lus. Ainsi, dans
Aprendiendo a morir (« en apprenant à mourir », 1997), elle fait de sainte Mariana de Jesús une jeune femme profondément humaine, tourmentée par l’anorexie et les croyances de son époque.
Y amarle pude… (« et j’ai pu l’aimer… », 2000) est un roman court qui s’inspire de la poésie romantique de Dolores Veintimilla de Galindo. Dans le même esprit,
Sé que vienen a matarme (« je sais qu’on vient me tuer », 2001) reprend la vie du président conservateur Gabriel García Moreno ; ce roman est adapté à la télévision en 2007. La prose de A. Yáñez Cossío donne au roman équatorien une dimension ironique novatrice, et ses personnages se caractérisent par leur discours déstructuré, libre, éloigné de la froide rigidité du rationnel.
Cecilia ANSALDO BRIONES