Plus connue comme épouse de trois célébrités et muse de nombreux artistes, Alma Mahler est pourtant une créatrice dans la sphère circonscrite du lied et dans un laps de temps restreint. Fille d’Emil Schindler, peintre paysagiste renommé, belle-fille de Carl Moll, l’un des fondateurs de la Sécession viennoise aux côtés de Gustav Klimt, la belle Alma est l’égérie du Tout-Vienne. En 1902, elle épouse Gustav Mahler, de vingt ans son aîné, directeur musical de l’Opéra impérial. Créateur despotique, Mahler exige qu’elle renonce à la composition et se contente du rôle de copiste des œuvres de son mari, et de mère de Maria, trop tôt disparue, et Anna, future sculptrice. Après la mort de Mahler en 1911, Alma aura une liaison avec le peintre Oskar Kokoschka, elle épousera l’architecte Walter Gropius puis l’écrivain Franz Werfel qu’elle suivra aux États-Unis pour fuir l’Autriche nazie. Pas toujours fiables, ses écrits (Ma vie, Journal intime) permettent de mieux saisir son destin mouvementé. Comment juger des ambitions créatrices d’une femme qui a dû y renoncer ? En 1910, au moment de leur crise conjugale, Mahler se repent de son attitude rigoriste, revoit et fait publier Fünf Lieder d’Alma, composés en 1900-1901. Quatre autres sortiront en 1915 sous une couverture de Kokoschka, puis encore cinq en 1924, dont Der Erkennende (« la reconnaissance », F. Werfel, 1915). D’autres lieder apparaissent peu à peu. Le choix de poèmes de Richard Dehmel, Otto Erich Hartleben, Gustav Falke, Rilke indique une musicienne au fait de la poésie contemporaine. La mise en musique, ample et modulante, révèle sa parfaite assimilation de Schumann, Wagner et l’empreinte d’Alexander von Zemlinsky, son professeur de composition, pour le langage chromatique, sans nuire à sa belle éloquence lyrique.
Brigitte FRANÇOIS-SAPPEY