Après avoir émigré aux États-Unis avec sa famille au début des années 1890, Anzia Yezierska étudie la poésie et la philosophie pour devenir professeure, métier qu’elle exerce brièvement. Dans son œuvre, elle exprime en toile de fond sa forte opposition à son père, traditionnel dans sa foi et dans sa vision des relations conjugales. Ainsi, dans son roman le plus connu, Bread Givers (« ceux qui donnent le pain », 1925), elle fait dire au père de la narratrice : « Les sages du Talmud énoncent qu’un homme a le droit de divorcer de sa femme si elle ne lui sale pas sa soupe à son goût. » Les personnages d’A. Yezierska hésitent entre le passé et l’avenir, entre la joie de la communauté et de la parole ancestrale et, décisive pour les femmes, l’indépendance promise dans la société américaine, qui se paie par l’isolement. A contrario, l’auteure décrit les réticences des puritains. Dans « The Lost Beautifulness » (« la splendeur perdue »), la sympathie de Mrs. Preston apparaît en contradiction avec « toute son éducation, toute la réserve de ses ancêtres anglo-saxons ». Outre Hungry Hearts (« cœurs affamés », 1920), qui contient cette nouvelle et est adapté au cinéma, A. Yezierska écrit Salome of the Tenements (« Salomé des immeubles », 1922), Children of Loneliness (« enfants de la solitude », 1923), Arrogant Beggar (« clochard arrogant », 1927) et All I Could Never Be (« tout ce que je ne pourrai jamais être », 1932). Son autobiographie, Red Ribbon on a White Horse (« ruban rouge sur cheval blanc », 1950) contient, selon sa fille, autant de fantaisie que de réalité. Le style d’A. Yezierska est vivant, généreux, pénétré d’éthique biblique et émaillé de mots yiddish. Ses héroïnes défendent leur être intérieur contre la négation, dans une lutte avec l’ange (et avec la langue anglaise) au féminin. Réagissant par l’effusion verbale au malheur qui les assaille, elles ponctuent leurs phrases de l’exclamation « Oi weh ! » (« misère ! »), mais ont confiance dans la langue composite qui est la leur.
Anne MOUNIC