Chargée de recherche en physique nucléaire, Aslı Erdoğan interrompt sa carrière universitaire pour se consacrer à l’écriture. Son premier roman,
L'Homme coquillage (2018), paraît en 1994. Cette fable détonnante située aux Caraïbes plonge le lecteur dans l’univers des déshérités, des esseulés et des humiliés. Après deux années de recherches en anthropologie en Amérique latine, elle rentre en Turquie en 1996 et publie deux recueils de nouvelles :
Le Mandarin miraculeux (2006) et
Les Oiseaux de bois (2009). Les thématiques du
Mandarin miraculeux sont récurrentes dans son œuvre : une histoire d’amour impossible, la quête de l’altérité en terre étrangère et l’exploration d’un moi littéraire qui reflète les angoisses de sa génération. En 1998, le roman
La Ville dont la cape est rouge (2003) lui assure la reconnaisance. Récit d’une exilée turque sombrant dans la dépression au cœur de l’Amérique latine, c’est la catharsis d’un être broyé par sa sensibilité. Jusqu’en 2000, A. Erdoğan se fait connaître en tenant une chronique intitulée « Les autres », dans le quotidien
Radikal, où elle aborde la question des prisons, de la torture, des violences faites aux femmes ou des droits des Kurdes. Impliquée dans la défense des droits humains, elle s’engage dans plusieurs organisations littéraires et fonde le Forum de littérature et le Centre d’art (DSM) de Diyarbakır. En 2003, A. Erdoğan réside deux mois à la Maison des écrivains étrangers et des traducteurs (Meet) de Saint-Nazaire et y publie un recueil bilingue traitant de son rapport à la fois empathique et critique aux terres étrangères :
Je t’interpelle dans la nuit/Gecede Sana Sesleniyorum (2009). Intéressée par l’expérimentation littéraire, en quête d’une forme adaptée à ses parcours de pensée originaux, elle donne avec
Hayat Sessizliğinde (« dans le silence de la vie », 2006) un roman composé de fragments en prose poétique où Istanbul affleure de manière plus évidente. En 2009, le récit
Le Bâtiment de pierre (2013), se présente comme une méditation lyrique et cruelle sur l’expérience carcérale qui a marqué le milieu intellectuel turc des quarante dernières années. Au cours des années qui suivent elle s’investit de plus en plus dans le journalisme militant à travers une chronique dans le journal
Özgür Gündem qui soutient la cause kurde : ce sera le motif de son arrestation en août 2016 et de son incarcération pendant plus de quatre mois. Un choix des essais parus dans le journal,
Le Silence même n’est plus à toi, paraît en janvier 2017 en français puis dans plusieurs langues européennes. Il faudra attendre octobre 2017 pour qu’une édition turque voit le jour… Néanmoins, les livres de l’auteure n’ont pas quitté les devantures des libraires à Istanbul et à Ankara pendant son séjour en prison. Bénéficiant d’un soutien et d’un écho quasi-planétaire, l’écrivaine A. Erdoğan incarne la résistance aux dérives d’un pouvoir autoritaire et la puissance de la littérature : de nombreux prix lui ont été décernés ces derniers mois dont le prix Simone de Beauvoir en janvier 2018. Ses œuvres sont désormais traduites en plus de vingt langues et elle a été invitée à participer à de nombreux festivals.
Timour MUHIDINE