Arrivée en France à l’âge de 5 ans, Barbara Glowczewski part en Australie en 1979 et cumule, en trente ans de recherche, plus de douze années de terrain dans le désert central, puis dans d’autres régions du nord du continent (Kimberley, terre d’Arnhem, Queensland). Sa thèse d’ethnologie sur la projection géographique des mythes, sur les rites et les pratiques oniriques des Warlpiri du désert central (sous la direction de M. Godelier, 1981) a suscité un long dialogue avec Félix Guattari qui a nourri les travaux du psychanalyste philosophe. À l’encontre du paradigme dominant qui reléguait les sociétés aborigènes à un passé hors du temps historique, elle montre – à travers l’analyse d’un culte intertribal itinérant – comment les Aborigènes ont ritualisé les transformations imposées par la colonisation, afin d’incorporer la loi occidentale à leur loi ancestrale. Son riche corpus de données, recueillies auprès des gardiennes de la terre du désert central et du nord australien, a contribué à faire reconnaître le rôle des femmes comme actrices de leur société, tant dans la vie rituelle que politique. Son doctorat ès lettres et sciences humaines (1988), Du rêve à la loi chez les Aborigènes d’Australie (1991), a été salué par Claude Lévi-Strauss comme un « travail capital ». Référence dans les études australiennes, cet ouvrage compare ses données warlpiri à celles d’autres groupes aborigènes pour mettre en relief, à l’aide du modèle topologique de l’hypercube, les relations de transformation entre la parenté, les rites et les mythes. Démontrant la dimension dynamique des cosmologies aborigènes, l’anthropologue propose de repenser le totémisme australien à l’aide du concept autochtone de dreaming, une « permanence en perpétuel mouvement », que les Aborigènes actualisent au moyen de rites et d’expériences oniriques, et par l’analyse d’un système de pensée connexionniste projeté sur l’espace. L’auteure a aussi publié une étude collective remarquée en ethnologie urbaine, La Cité des cataphiles, mission anthropologique dans les souterrains de Paris (1983-2008), et tourné plusieurs films. Entrée au CNRS en 1991, B. Glowczewski est directrice de recherche au laboratoire d’anthropologie sociale du Collège de France. Elle a coordonné plusieurs équipes de recherche internationales, et anime des séminaires à l’Ehess et au musée du Quai Branly, à Paris, sur l’anthropologie des réseaux et de la perception. Ses travaux sur les cartes cognitives aborigènes à l’aide d’hyperliens informatiques et ses applications multimédias sont pionniers en anthropologie.
Dès son premier livre, Les Rêveurs du désert (1989), elle plaide pour la subjectivité impliquée et responsable de l’ethnologue et pour la restitution des données ethnographiques aux peuples concernés. Exhortant les chercheurs de sa discipline à considérer ces derniers comme des partenaires d’échange, elle met en valeur la créativité artistique aborigène qui a révolutionné l’art du XXe siècle et l’actualité scientifique et éthique des savoirs autochtones. Elle défend une anthropologie « multisituée » de manière « réticulaire », prenant pour terrain, dans Guerriers pour la paix (2008), l’enquête judiciaire sur la mort suspecte d’un Aborigène en garde à vue, événement à l’origine d’une émeute à Palm Island le 26 novembre 2004. Elle y analyse le réseau mouvant des acteurs en confrontation, les commentaires médiatiques et les risques encourus par ceux dont le chercheur parle. Soulevant l’impossibilité d’une anthropologie neutre, elle propose une anthropologie de la survie au désastre comme éthique de négociation existentielle.
Estelle CASTRO et Jessica DE LARGY HEALY