Figure éminente de la scène artistique flamande contemporaine, élevée dans une institution catholique stricte, Berlinde De Bruyckere développe une œuvre imprégnée d’iconographie chrétienne, associée au martyre et à la rédemption. Fille de boucher, elle place la souffrance physique et la chair meurtrie au cœur de son travail, explorant la dualité entre la vie et la mort. Dans les années 1990, elle délaisse ses sculptures minimalistes, faites d’un assemblage de pierres, bois, acier et béton, pour la représentation de scènes figuratives plus intimistes, exploitant des matières plus organiques et malléables. Elle réalise alors des installations : des cages, sortes de cellules d’isolement recouvertes de couvertures qui en cachent le contenu ; inspirée des images de la famine en Somalie, de la guerre au Kosovo et du génocide rwandais, la couverture symbolise, pour l’artiste, la chaleur et la protection, mais aussi la vulnérabilité et la peur ; elle évoque le refuge ultime des êtres en fuite ou en souffrance. À la fin des années 1990, la plasticienne commence une série de sculptures représentant une femme cachée sous des couvertures, dont on ne voit que les jambes nues. C’est à partir de cette époque qu’elle fait entrer la figure humaine dans son travail. Elle sculpte des corps nus, en mêlant de la cire diaphane à des pigments, matériau qui recrée une peau humaine laissant transparaître de fines veines bleutées. De ces corps émanent une inquiétante étrangeté, une sensualité morbide aussi fascinante que dérangeante, rappelant les sculptures réalistes religieuses espagnoles du XVIIe siècle. Ces créatures sont suppliciées, mises à mal, amputées, recousues ; dans une ultime contorsion souvent convulsive, elles tentent cependant de dépasser cette souffrance inscrite dans leur chair, l’artiste leur offrant la possibilité d’une mutation homérique, comme dans Marthe (2008), où les bras du personnage ont pris la forme de branches d’arbres. Si une attention particulière est accordée aux extrémités – mains, pieds, sexe –, ces êtres au genre parfois confus sont acéphales ou leurs visages sont dissimulés par une longue chevelure à l’instar de Marie-Madeleine*. B. De Bruyckere sculpte également des cadavres de chevaux naturalisés : l’installation In Flanders Fields (2000) met en scène plusieurs corps de chevaux tués sur un champ de bataille. Pour la Biennale de Venise en 2003, elle réalise la sculpture Black Horse : un cheval dépourvu d’yeux agonisant sur une table de bois et d’acier. En 2008, elle présente une exposition personnelle à l’espace Claude Berri à Paris.
Mélanie HAMET