Depuis une quinzaine d’années, Candice Breitz poursuit une constante et cohérente investigation du langage, en portant un regard aigu sur les questions de races et de genres. L’univers pop constitue la matière première de son art qui lève le voile sur les stéréotypes et les préjugés. En 1994, après une formation aux Beaux-Arts de Johannesburg, elle obtient un master en histoire et en théorie de l’art à l’université de Chicago, puis un doctorat à l’université de Columbia, à New York, avant de s’installer à Berlin. Son entrée dans l’art contemporain se fait par le biais de la photographie, dans la première moitié des années 1990. En retouchant manuellement l’image photographique, elle découvre et développe une méthode qui, intensifiée, va lui servir aussi dans ses installations vidéo, dès 1999. Il s’agit d’interférer sur la photographie avec des outils délibérément basiques, comme du Scotch, des ciseaux ou autres. Ainsi, dans l’emblématique Ghost Series (« série des fantômes », 1994-1996), elle blanchit les silhouettes de femmes africaines au correcteur liquide pour dénoncer leur soumission à un regard étranger. Dans les photomontages de Rainbow Series (« série de l’arc-en-ciel », 1996), en combinant les corps de femmes noires africaines figurant dans des livres ethnographiques à des membres d’actrices blanches américaines de magazines pornographiques, elle établit un parallèle entre le voyeurisme pornographique et le voyeurisme ethnographique. Ces séries engendrent une forte polémique dans un contexte où s’affirme peu à peu l’art sud-africain des années post-apartheid. En Afrique du Sud, le magnétoscope apparaît dans les années 1970, presque à la même époque que la télévision, longtemps interdite par le gouvernement. L’artiste utilise ces deux appareils, symboles pour elle de découverte et de liberté, afin de retravailler l’image, de remonter des films, de recomposer des musiques et des photos. Dans ses installations vidéo, la méthode du « copier-coller » développée antérieurement pour ses photos est désormais appliquée sur des œuvres issues de la culture de masse, dans une « stratégie d’appropriation » et une volonté analytique. Babel Series (1999), sa première installation exposée, se compose de vidéoclips d’artistes pop comme Madonna*, Prince et Freddie Mercury, projetés sur sept écrans suspendus. De leurs chansons il ne reste qu’une syllabe, comme si l’album était rayé. Dans Karaoke (2000), dix chanteurs amateurs de différentes nationalités vivant à New York chantent le tube Killing me Softly de Charles Fox et Norman Gimbel. Malgré les différences de langues et de cultures, les visages révèlent une série d’expressions communes estompant les différentes identités et dénonçant la puissance d’influence de la culture de masse. D’autres travaux produisent une analyse critique des blockbusters américains. Dans Soliloquy Trilogy (2000), le film Basic Instinct de Paul Verhoeven est remonté pour être réduit à la seule performance de Sharon Stone*. Constituée de sept diptyques, l’œuvre Becoming (2003) est la première où l’artiste se met en scène. Sur un moniteur, des séquences courtes de films hollywoodiens sont interprétées par des actrices célèbres ; sur l’autre, elle mime leur performance, en noir et blanc. C. Breitz a participé aux biennales de Taipei, d’Istanbul et de Venise, et son travail a été montré dans de nombreux centres d’art contemporain et galeries à travers le monde.
Lúcia RAMOS MONTEIRO