Veuve à 29 ans d’un négociant et médecin anglais, sans enfant, et dépouillée de son héritage par des juges corrompus, Clorinda Matto de Turner se consacre au journalisme pour gagner sa vie et tient un salon littéraire à partir de 1886. Elle est l’auteure d’une œuvre variée, qui comprend des « Traditions » (nouvelles historiques), une pièce de théâtre (
Hima Sumac, 1884), un manuel de rhétorique, des traductions en quechua des Évangiles, des chroniques et des essais littéraires, ainsi que trois romans qui l’ont rendue célèbre :
Aves sin nido (« oiseaux sans nid », 1889),
Índole (« classe »,
1891) et
Herencia (« héritage », 1893), suite du premier.
Aves sin nido lui vaut une place de choix dans l’histoire de la littérature latino-américaine, comme fondatrice de la littérature indigéniste. En reprenant les codes du naturalisme, elle met ainsi en scène pour la première fois des Indiens, en dénonçant les abus dont ils sont victimes, notamment de la part des grands propriétaires et des prêtres. Si ce premier roman a pour cadre un village imaginaire du Sud du Pérou, les deux autres se situent à Lima, mais dénoncent avec la même virulence les fonctionnaires et le clergé corrompus. Avec Mercedes Cabello et Teresa Gonzalez de Fanning, elle fait partie du premier cercle des femmes éclairées du Pérou. En butte à de nombreuses critiques et agressions de toutes sortes, elle est excommuniée et contrainte à l’exil à partir de 1895, s’installe en Argentine, et consacre la fin de sa vie à de nombreux voyages en Europe, où elle se lie à des organisations féminines et féministes.
Karim BENMILOUD