Issue d’une famille très modeste, Conceição Evaristo est née dans un bidonville de Minas Gerais, région du centre-ouest brésilien, en 1946, moins de soixante ans après l’abolition de l’esclavage au Brésil. Deuxième d’une fratrie de neuf enfants, l’écrivaine a partagé son enfance entre l’école et les tâches auprès de sa mère, blanchisseuse, avant de commencer à travailler dès l’âge de 8 ans, d’abord comme domestique puis comme garde d’enfants, afin de pouvoir suivre des études. À 25 ans, elle obtient un premier diplôme lui permettant de devenir institutrice. Elle décide alors de migrer vers Rio de Janeiro, dans l’espoir de rompre avec une destinée à laquelle elle ne pouvait pas se plier, celle du silence. Après une licence de Lettres à la prestigieuse Université Fédérale de Rio de Janeiro, l’autrice s’oblige à pousser plus loin son chemin vers la liberté de parole : un DEA à l’Université Catholique de Rio de Janeiro, dont le mémoire, Littérature noire : une poétique de notre afro-brésiliénité, annonce ouvertement son combat contre le silence imposé aux écrivains noirs brésiliens. Puis, une thèse en littérature comparée, Poemas malungos - cânticos irmãos (2011), dans laquelle elle analyse et célèbre la voix des poètes noirs qui chantent la mémoire des frères et sœurs déportés d’Afrique. Pour rassembler les morceaux de cette mémoire dilacérée, C. Evaristo déploie une poétique qu’elle fonde sur le concept de escrevivências – l’écriture de la vie, du vécu - concept qui fonctionne pour l’auteure comme moyen d’expression d’une mémoire collective mise en lambeaux par des siècles d’esclavage, de racisme et de misogynie. Aussitôt, le concept prend la forme de manifeste en faveur de la cause des femmes et sert tout particulièrement la lutte de la femme noire en quête de respect et d'égalité de droit. Son premier roman, Ponciá Vicêncio (2003), sublime mélange d’espoirs et de peines, raconte dans une prose à la fois acerbe et lyrique les déboires de Ponciá, femme noire et très pauvre, qui se bat pour exister dans une société cyniquement raciste et misogyne : une véritable plaidoirie contre la violence sociale et politique imposée aux femmes depuis la nuit des temps. Dans sa poésie, C. Evaristo révèle, et notamment dans le recueil Poemas da recordação e outros movimentos (« poèmes de la mémoire et autres mouvements », 2008), une sensibilité complexe, incarnée et lyrique, d’où jaillissent des souvenirs d’une mémoire à la fois atavique et érudite. Son histoire de vie se confond ainsi avec l’histoire d’autres femmes, celle de sa mère, de sa tante, mais aussi celle de tant de femmes arrachées à la vie et à la beauté, et que seule l’écriture serait à même de ranimer. Tout en ne cessant d’écrire, C. Evaristo sillonne le Brésil et l’Europe pour parler de la condition des femmes dans le monde actuel. Sa générosité et son charisme, tout comme la force de ses écrits, œuvrent à la diversité et à l’égalité, aussi bien en littérature que dans la société. En 2019, elle reçoit le prix Jabuti, l'un des prix littéraires les plus prestigieux du Brésil.
Izabella BORGES