Depuis les premiers espaces biographiques au début des années 1990 (les « portraits » et les « chambres ») jusqu’aux environnements ouverts de cette dernière décennie, la pluralité des mondes demeure la première découverte de Dominique Gonzales-Foerster, sa position « astronomique » dans l’art. Ainsi, ses projets transitent d’un champ à un autre, de l’art au cinéma, de la littérature à l’architecture, tout autant d’univers qu’elle ne considère pas comme séparés, mais comme des zones de transferts, de haltes provisoires. Très tôt, le cinéma et le texte occupent une place importante dans son imaginaire, agissent comme des entrées, des sphères d’influence, des horizons. Pourtant, l’artiste n’emprunte pas au cinéma, à la littérature ou à l’histoire de l’art : elle habite leurs territoires. Ces entrées de cinéma, de littérature, d’architecture ne sont jamais clairement indiquées, et, même si on peut s’appuyer ici et là sur un titre, un élément évocateur, elles déterminent la structure de ses pièces, leurs agencements, pour ne plus laisser que des empreintes, des sensations de cinéma, de lecture, de voyage (comme elle aime aussi parler de « sensations d’art »). Dans toute son œuvre, il y a d’abord un acte de tracement, une tentative d’explorer un espace étranger, de faire le portrait d’une ville (la trilogie des films Riyo, Central, Plages, 1999-2001). Cette traversée des signes et des paysages ne revient pas à les coloniser, mais simplement à aller au-devant des images, à voir de quoi elles naissent, de quelles expériences. D. Gonzales-Foerster ne s’essaye ni à la fiction ni au documentaire. Son travail se situe à la limite de l’image et du visible, à l’endroit d’un manque, dans le trouble et la confusion des différents niveaux de réel, là où l’information se dissout, se perd et rejoint le sujet d’une conquête. Dans ses environnements « programmatiques » (Cosmodrome, réalisé avec le musicien Jay-Jay Johanson en 2001), dans ses parcs publics (A Plan for Escape, pour la Documenta 11 de Kassel en 2002 ; Roman de Münster pour Skulptur Projekte Münster en 2007), on voit comment se substitue au système de l’exposition le récit d’un paysage, pris dans un système dialectique, sorte de « non-site », donc un fragment, une mise en forme fermée, intérieure, délimitée, concentrée, qui mène vers un « site », un autre espace extérieur, périphérique, illimité. Le parc, la plage, le jardin sont parmi ces non-sites, espaces chroniques, parties découpées du monde. On retrouve toutes ces dimensions dans ses projets de muséographie et sa première monographie, Expodrome, au musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 2007, pour laquelle l’artiste constitue une « équipe d’exposition », principe collaboratif qui renvoie aux premiers temps d’une aventure collective à Grenoble, quand elle explorait un nouveau vocabulaire de l’exposition, avec Pierre Joseph, Philippe Parreno, Bernard Joisten, un peu à l’image d’une équipe de tournage. Expodrome est un tournant, qui prend la mesure de la courbe architecturale de l’espace de l’Arc (Animation recherche confrontation), de la lumière, de son échelle, qui interroge la notion d’œuvre, rejouant les conditions classiques de l’exposition. Pensé comme une expérience ouverte, inédite, le projet prend en compte le temps de déplacement du visiteur, appelé à vivre un « voyage narratif », alternant contemplation, lecture, promenade et cinéma. Autre tournant important dans sa production : l’environnement spectaculaire TH. 2058 (2008), conçu pour le programme The Unilever Series de la Tate Modern, où l’artiste projette un paysage d’anticipation, une révolution climatique, un voyage dans le temps. En 2058, un déluge permanent s’abat sur Londres, perturbation qui produit des effets étranges sur les gens et les choses : ces œuvres urbaines commencent à croître comme des plantes tropicales géantes et se monumentalisent. « Pour mettre un terme à cette croissance, il a été décidé de les remiser à l’intérieur, parmi les centaines de lits superposés, qui, jour et nuit, accueillent les réfugiés de la pluie. » Le scénario initial dit la nature cinématographique de l’expérience à venir, tandis que le rideau de bandes de plastique rouge et vert, que les spectateurs traversent pour accéder à ce refuge, affirme la théâtralité du principe même de l’exposition, induisant aussi l’image imprécise de l’accès à un hangar médicalisé. Puis viennent les sensations : le son permanent d’une pluie lourde, le métal et les couleurs jaunes et bleues des lits superposés, la présence des livres disposés sur ces lits, la monstruosité de ces sculptures de Louise Bourgeois*, Calder ou Claes Oldenburg, le souvenir du dernier film, la rêverie infinie d’un monde sans soleil.
Stéphanie MOISDON
Consultez cet article illustré sur le site d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions