Pionnière de la microfinance en Inde, née dans une famille de brahmanes, Ela Bhatt a 12 ans quand l’Inde devient indépendante. Marquée par l’engagement de son grand-père maternel dans le mouvement pour l’indépendance, elle adhère très jeune aux principes gandhiens de développement rural et d’amélioration du sort des pauvres. Sitôt ses études de droit achevées, elle s’implique dans le syndicalisme ouvrier, en travaillant comme avocate pour un syndicat des ouvriers du textile. Bravant avec courage les barrières de classes et de castes, elle déplore l’absence de structures juridiques et économiques susceptibles de favoriser le travail indépendant et de sécuriser le travail « informel », dans un pays où il constitue une source de production de biens et services essentielle. En 1970, elle devient responsable de la section féminine de l’Indian National Trade Union Congress : désormais, la condition des femmes, leur rôle dans le développement du pays deviennent sa préoccupation majeure. En 1972, elle fonde la Self Employed Women’s Association (Sewa), à la fois un syndicat et une coopérative de travailleuses indépendantes regroupant plusieurs métiers : brodeuses, vendeuses de rue, chiffonnières, porte-faix, rouleuses d’encens et de bidi, ramasseuses de poubelles. L’année suivante, la Sewa se dote d’une banque coopérative qui finance les activités des ouvrières indépendantes. Les membres de la Sewa, uniquement des femmes, ont aujourd’hui un statut reconnu, peuvent accéder à une formation et à une protection médicale, emprunter et souscrire à des fonds d’épargne. En 1979, avec Esther Ocloo et Michaela Walsch, E. Bhatt crée la Women’s World Banking, destinée aux femmes à faibles revenus, et en assure la présidence de 1980 à 1988. En dépit de l’analphabétisme et du poids de certains préjugés, elle parvient à mobiliser les femmes indiennes. Structurant et organisant leurs actions, elle œuvre concrètement à leur émancipation et voit leurs aspirations se développer. Députée au Parlement indien de 1986 à 1989, elle préside en 1987 la Commission nationale sur les femmes travaillant dans les secteurs indépendants et non organisés. Bien qu’ayant reçu de nombreuses distinctions pour son action, E. Bhatt n’en reste pas moins simple, modeste, et surtout animée d’une véritable foi en la force et la détermination des femmes indiennes.
Jacqueline PICOT