Ce n’est qu’en 1981 qu’est retrouvé le « journal » d’Etty Hillesum, jeune juive néerlandaise prise dans la tourmente de l’occupation et de la déportation. Écrit entre 1941 et 1943, et intitulé Une vie bouleversée, il constitue, avec des lettres du camp de transit de Westerbork, l’unique témoignage de cette jeune femme hors du commun, dont la spiritualité s’apparente par bien des aspects à la mystique. E. Hillesum, qui a grandi dans une famille de la bourgeoisie juive non religieuse, est jeune diplômée en droit et étudie le russe et la psychologie à Amsterdam, quand, en 1940, les troupes allemandes envahissent les Pays-Bas. Elle subit la violence des restrictions, de la privation de droits, des rafles. Elle choisit alors de travailler comme assistante sociale bénévole pour le conseil juif dans le camp de transit de Westerbok. Elle entame une relation amoureuse intense et tumultueuse avec Julius Spier, psychologue jungien beaucoup plus âgé qu’elle. Il l’encourage à lire des auteurs de spiritualité. Elle lit aussi des écrivains russes, Tolstoï et Dostoïevski notamment, et la poésie de Rilke. Une introspection quasi mystique lui permet de faire l’expérience d’une source intérieure profonde qu’elle nomme « Dieu », sans être rattachée à une tradition religieuse spécifique. E. Hillesum puise sa force dans cette « forteresse intérieure » pour résister à la destruction et à l’humiliation nazies, mais aussi pour communiquer cette paix à ceux qui sont angoissés et détruits. Déportée avec toute sa famille à Auschwitz, elle se sent, dans le camp de transit de Westerbok, le « cœur pensant de la baraque ». Jusqu’aux dernières pages de son journal, elle insiste sur son amour de la vie, sur son refus de toute haine et sur sa perception de la beauté du monde en dépit des horreurs des camps. Elle découvre peu à peu l’image d’un Dieu impuissant dont l’être humain doit devenir le gardien par sa vie.
Michel CORNUZ