Figure atypique de la sociologie et de l’histoire des sciences, Evelyn Fox Keller ouvre un premier domaine de connaissance en interrogeant le modèle masculin de formalisation des sciences ; puis elle oriente ses analyses vers la portée des métaphores scientifiques pour illustrer le rôle du langage dans la science. Née de parents russes immigrés aux États-Unis, seule femme doctorante en physique théorique à la fin des années 1950 à Harvard, elle prépare une thèse sur les travaux de Richard Feynman. Objet de vexations de la part de ses condisciples masculins, elle décide de bifurquer vers la biologie moléculaire, matière de la thèse qu’elle soutiendra en 1963. Elle s’engage dès les années 1970 dans le mouvement féministe américain. Elle devient professeure d’histoire et philosophie des sciences au Massachusets Institute of Technology (MIT). Attirée très jeune par la psychanalyse, elle publie
Reflections on Gender and Science (« réflexions sur le genre et la science », 1985). Dans cette série d’articles, elle analyse le caractère masculin de la formalisation des sciences actuelles, notamment la physique. Elle montre que la volonté de continuer à assimiler rationalité, scientificité et modèle classique de la physique aboutit à l’incapacité d’assumer la révolution scientifique de la théorie des quanta. E. F. Keller est connue du public français pour
L’Intuition du vivant (1988), biographie consacrée à la lauréate du prix Nobel, Barbara McClintock (1902-1992) ; cet ouvrage emblématique de l’histoire d’une femme de sciences est accessible aux lecteurs non initiés et traite avec la même rigueur les enjeux scientifiques et la situation sociale de la lauréate. En 2002, dans son ouvrage traduit en français sous le titre
Expliquer la vie, modèles, métaphores et machines en biologie du développement (2004), elle poursuit l’exploration des mécanismes de l’explication scientifique au
XXe siècle en prenant le parti de l’analyse linguistique. Son étude s’appuie sur l’histoire de l’embryologie au
XXe siècle et montre la diversité des «types de discours» utilisés successivement pour expliquer le développement. En 2005, elle est accueillie pour deux ans à la chaire internationale de recherche Blaise Pascal (École normale supérieure Paris 7-Denis Diderot).
Pierre TRIPIER