D’un point de vue philosophique le bouddhisme affirme que tous les êtres – ce qui inclut donc les femmes – auraient potentiellement la capacité d’atteindre la libération spirituelle ou l’illumination. Pourtant il n’est pas certain que les femmes bouddhistes aient les mêmes possibilités que leurs coreligionnaires masculins pour y parvenir. De facto, dans les sociétés patriarcales, les femmes ne sont pas les égales des hommes, et elles ne le sont pas davantage au regard de l’institution religieuse bouddhique. Le Bouddha historique lui-même a admis non sans quelques réticences qu’il y ait des femmes moniales (bhikshuni) dans la sangha (communauté bouddhique). Ananda, un cousin du Bouddha, parmi ses premiers disciples, joua un rôle de médiateur entre lui et les postulantes ; la première, attestée par les textes pâli, à avoir inauguré cette vie monastique aurait été Pajâpatî, tante maternelle du Bouddha. Toutefois, comme condition à la fondation de leur ordre, le Bouddha aurait fixé huit règles qui plaçaient les femmes sous l’autorité des hommes. Si une telle attitude peut s’expliquer dans une époque imprégnée de culture brahmanique, aujourd’hui, la discrimination envers les femmes est perçue comme contradictoire avec les principes bouddhistes élémentaires ainsi qu’avec les normes des sociétés contemporaines.
Ainsi, entre le VIe siècle av. J.-C. et le IIIe siècle apr. J.-C., l’ordre féminin aurait connu un vigoureux épanouissement, comme en témoigne le recueil de poèmes Therigatha, et de nombreuses inscriptions sur des monuments qui portent des noms de religieuses donatrices. Pourtant, dès le IIIe siècle, ces traces s’amenuisent, ce qui donne à penser que l’ordre féminin a décliné rapidement, surtout dans le Theravâda (Sri Lanka, Laos, Cambodge, Thaïlande, Myanmar) où les femmes ne sont plus ordonnées. Mais dans le Mahâyâna (Chine, Tibet, Japon, Corée), on ordonne toujours des moniales, bien qu’elles aient peu d’accès aux enseignements, un confort matériel médiocre, et qu’elles fassent l’objet de vexations diverses. À la fin du XXe siècle, lorsque le bouddhisme se répandit à l’Ouest, des Occidentales commencèrent à demander l’ordination. Dès 1988, 200 moniales reçurent l’ordination majeure au temple Hsi Lai de Los Angeles. Ce fut également le cas à Taiwan, Hong Kong et, plus récemment, en Grande-Bretagne et en France. Admettre la réalité d’une souffrance due à la discrimination de genre est, selon l’éthique bouddhiste, un élément lié au concept central de duhkha, la nature douloureuse des choses. Chercher des solutions à cette souffrance est donc un moyen d’exercer sa compassion, une des règles de base de la pratique bouddhiste.
Lors de la première conférence internationale des femmes bouddhistes à Bodh-Gaya en Inde en 1987 s’est créé le mouvement Sakyadhita qui regroupe des femmes du monde entier, liées par des pratiques religieuses communes en dépit de leurs différences culturelles. Ce mouvement, très dynamique, représente plus de 300 millions de femmes œuvrant sur différents fronts (pratiques spirituelles, valeurs bouddhistes, éducation, prise en compte des particularités culturelles…). Ce mouvement est issu du débat sur le féminisme et le bouddhisme, amorcé aux États-Unis dans les années 1970, dont les pionnières furent Diana Paul, Rita Gross, Ruth Denison, Joko Beck… Les notions d’identité, d’autorité et de transmission dans un contexte de pluralisme religieux étaient au centre des questionnements qui ont présidé au rapprochement des femmes bouddhistes d’Occident et d’Orient. Les modèles traditionnels d’appréhension du religieux ont ainsi été remis en cause dans une perspective de reconstruction de l’identité féminine bouddhique, incluant les spécificités de ces deux traditions. Le mouvement Sakyadhita offre ainsi une plate-forme permettant la communication interculturelle, favorisant les échanges de part et d’autre, permettant de réajuster et de réévaluer des concepts.
Cette initiative a subi des formes de déni et de résistance. Il est vrai que le cheval de bataille de ces femmes reste toujours la revendication de l’ordination plénière sans laquelle il ne saurait être question au sein du bouddhisme d’égalité de droits entre les sexes. En outre, la négation de ce droit serait en inadéquation avec le message socialement égalitaire du bouddhisme. Cette question a été au centre du Congrès international sur le rôle des femmes bouddhistes dans la sangha, qui s’est tenu en 2007 à l’Université de Hambourg en présence du dalaï-lama.
Nadine WEIBEL