Fille d’un Chinois de la diaspora et d’une Australienne, née en Indonésie puis ayant grandi en Australie et vivant en Europe depuis l’âge de 18 ans, Fiona Tan a suivi un parcours dont les méandres reflètent une histoire géopolitique complexe. Ces quelques éléments biographiques, qu’elle a mis en scène dans le film documentaire May You Live In Interesting Times (« puissiez-vous vivre en des temps intéressants », 60 minutes, 1997), permettent de saisir l’importance de la « dispersion » – des récits, des modes de représentation, des techniques, des identités elles-mêmes – dans son travail. L’installation, médium favori de l’artiste, met en espace des enchevêtrements d’images et de sons, et inclut le spectateur dans un processus d’interprétation ouvert. Dès le début des années 1990, avec la récupération d’images empruntées (Totenklage/Lacrymosa, 1993 ; Facing Forward, 1999 ; News from the Near Future, 2003), c’est bien l’image – photographique, cinématographique ou vidéo – qui incarne pour la jeune artiste l’idée d’une mémoire vacillante que toutes ses pièces commentent d’une façon ou d’une autre, mémoire des récits oubliés – principalement celle des premiers films ethnographiques, que l’artiste retravaille, cherchant à déconstruire le regard prétendument objectif ou scientifique dont ces films sont porteurs. La contre-mémoire qu’elle élabore part des images qu’elle trouve, de celles qu’elle fabrique ou dont elle dirige la fabrication : toutes créent des points de contact entre notre présent et des temps révolus, des cultures lointaines, des techniques obsolètes. À chaque fois, l’installation se présente comme un espace d’enregistrement et de consignation de données visuelles, comme une archive en mouvement. Au cœur de sa démarche, le cinéma documentaire occupe une place prépondérante. Ainsi qu’elle l’explique : « Toute mon œuvre reflète les principes du film documentaire et s’y appuie pour une bonne part. [… ] presque toutes mes installations film et vidéo – que les images soient empruntées ou filmées par moi – incorporent du matériel de nature documentaire. Ce qui m’intéresse dans le cinéma, la vidéo et la photo, c’est l’aspect réel et anthropologique qu’ils recèlent. » Récits intimes, films récupérés et recyclés (dans la mouvance found footage, « métrage trouvé »), images scientifiques (Linnaeus’Flower Clock, 1998), télévisuelles (Stolen Words [« mots volés »], 1991), performances filmées mettant en scène le corps de l’artiste elle-même (Slapstick [comédie bouffonne »], 1998) : le travail de la vidéaste s’apparente à une vaste enquête anthropologique qui décline les façons infiniment variées de mettre en images le réel et par-là même de le questionner.
Clara SCHULMANN
Consultez cet article illustré sur le site d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions