Née dans une riche famille juive d’origine allemande, Florine Stettheimer n’eut jamais besoin de vendre sa peinture pour vivre. De 1892 à 1895, elle étudie à l’Art Student League de New York sous la direction du peintre et illustrateur Kenyon Cox et de Robert Henri. Admirative de l’œuvre de John Singer Sargent, elle réalise alors des portraits et des natures mortes, plus caractérisés par une volonté de bien faire que par un réel talent. En 1906, elle part avec sa mère et ses deux sœurs Ettie et Carrie pour un séjour de plusieurs années en Europe. Elle étudie dans les académies d’art de Berlin, de Munich et de Stuttgart, découvre le symbolisme de Gustav Klimt et de Ferdinand Hodler, se familiarise avec les œuvres des impressionnistes, des Nabis et des fauves, visite la Biennale de Venise en 1909. En 1914, de retour aux États-Unis, les sœurs ouvrent un Salon qui devient très vite un lieu de rencontre de l’avant-garde artistique. Marcel Duchamp, les peintres Marsden Hartley et Charles Demuth, les photographes Alfred Stieglitz et Edward Steichen, le critique d’art Henry McBride, l’écrivain Carl Van Vechten, tous assistent aux soirées des Stetties, comme on les surnomme alors. Florine peint, Ettie écrit des romans sous le pseudonyme de Henrie Waste, et Carrie consacre sa vie à réaliser une maison de poupée qui contient jusqu’à une galerie d’art avec des reproductions d’œuvres de M. Duchamp (Nu descendant un escalier), d’Elie Nadelman, de Gaston Lachaise et d’Alexander Archipenko, réalisées par les artistes eux-mêmes (1916-1944, Museum of the City of New York). Après l’échec de son unique exposition personnelle dans la galerie Knoedler de New York en 1916, F. Stettheimer s’attache à trouver une manière qui lui soit propre. Durant les soirées organisées chez elle, elle dessine les différents invités puis reprend leurs silhouettes dans de grandes compositions qu’elle nomme, en s’inspirant d’un genre historique de la peinture anglaise, la conversation piece (« scène de conversation » ; ainsi Soiree ou Studio Party, New Haven, Yale University, 1917-1919). Elle représente alors les personnages aplanis, dans des perspectives singulières et avec des couleurs de plus en plus intenses. Au début des années 1920, elle adopte définitivement une manière de peindre originale. Malgré les influences de nouveaux courants, son style qui mêle fausse naïveté et sophistication reste inclassable. Elle peint le monde qui l’entoure. Elle fait le portrait de sa mère, de ses sœurs, de ses amis – M. Duchamp et C. Van Vechten. Elle s’attache à représenter, gardant toujours un regard ironique, les loisirs de la haute société new-yorkaise (Beauty Contest [« concours de beauté »], Hartford, Wadsworth Atheneum, 1924). Certaines œuvres ont un caractère social plus engagé, comme Asbury Park South (Nashville, Fisk University, 1920) qui représente une plage du New Jersey réservée aux Noirs. En 1934, elle connaît son seul succès public de son vivant en réalisant les décors et les costumes de l’opéra de Virgil Thompson sur un livret de Gertrude Stein, Four Saints in Three Acts, qui triomphe au Wadsworth Atheneum Theater à Broadway. Son œuvre la plus importante, sinon la plus connue, reste cependant la série des Cathedrals qu’elle réalise entre 1929 et 1942 (New York, Metropolitan Museum of Art). Dans cette série, elle célèbre sa ville de New York et ses piliers – les loisirs, le pouvoir, l’argent, l’art –, en même temps qu’elle en propose une satire amusée. En 1935, elle installe son atelier dans le très en vogue Beaux-Arts Building sur Bryant Park. Elle continue de peindre et de recevoir, jouant sa vie à l’image de son art. Deux ans après sa mort, une exposition rétrospective est organisée au Whitney Museum of American Art de New York. Remise sur le devant de la scène par les études féministes des années 1980, la peintre est aujourd’hui considérée comme l’une des premières représentantes de l’esthétique camp (« kitsch », « affecté »), telle que définie par Susan Sontag* (« Notes on camp », in Partisan Review, 1964) : un art volontairement kitsch, artificiel et excessif.
Marie GISPERT
Consultez cet article illustré sur le site d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions