Peule musulmane de Garoua (Nord-Cameroun), Goggo Addi était connue dans sa région pour être une conteuse exceptionnelle qui attirait un large public lors des veillées dans sa maison. Fille d’un riche commerçant, décédé alors qu’elle n’avait que 5 ans, elle vécut avec sa mère, remariée, et sa nombreuse fratrie dans un petit village près de Garoua dans des conditions matérielles précaires. Mariée de force une première fois, elle prit la fuite et devint par la suite la deuxième épouse du fils d’un ami de son père, menant une vie plus aisée. Elle accoucha d’un enfant mort-né, quitta son mari violent, puis s’installa à Bibémi où elle acquit sa réputation de conteuse. Après s’être remariée à six reprises, elle connut une vieillesse de pauvreté et de solitude en l’absence du soutien qu’aurait pu lui apporter un enfant.
Conter est généralement une activité de loisir, réunissant en soirée femmes et enfants, à laquelle les hommes n’assistent pas. L’apprentissage des contes se fait par la transmission, la pratique et l’échange lors de veillées, au travail, ou le soir, à l’adresse des enfants. À la différence des griottes, l’activité des conteuses n’est pas rémunérée ; en revanche, leur notoriété peut accroître leur prestige social de femme. Dits en contexte d’oralité première, les 70 contes de Goggo Addi ont été enregistrés lors de plusieurs séjours d’études entre 1985 et 1989 : ils ont été transcrits, traduits et édités, accompagnés du récit de sa vie et d’une analyse détaillée des textes. En littérature orale africaine, la notion de répertoire individuel des contes s’est dégagée au vu de ces textes qui ont permis de démontrer le caractère authentiquement créatif de l’art du conte ; celui-ci ne relève pas seulement de la seule transmission patrimoniale et anonyme, mais il peut aussi comprendre une appropriation individuelle par un énonciateur qui exprime une vision du monde spécifique à travers sa narration. Les contes de Goggo Addi sont ainsi les parties constitutives d’une unité textuelle délimitée, attribuable à une « auteure » qui emprunte des voix narratives multiples pour construire un univers imaginaire. Son répertoire met en scène prioritairement des personnages féminins : La Fille difficile ne veut épouser qu’un homme sans cicatrice ; La Fille sans mains souffre d’un handicap physique qu’elle cache à son mari et que ses coépouses cherchent à dévoiler ; La Fille dans la gourde dissimule sa beauté ; l’une des Deux Filles incarne la vertu et l’autre, l’immoralité. Autour de ces héroïnes, communes à plusieurs cultures de l’Afrique de l’Ouest, gravitent des figures plus rares, comme la mère sorcière qui s’attaque à sa fille ou l’épouse qui sauve son mari parti à la guerre. Ces personnages illustrent de façon récurrente le mariage, abordé sous l’angle du choix du mari pour la fille, des rapports entre coépouses, de la relation conjugale ou encore du rôle parental. La complexité des représentations ne peut pas être appréhendée à partir des contes pris isolément ; c’est au contraire son répertoire intégral qui permet à Goggo Addi l’expression d’une vision différenciée.
Ursula BAUGMARDT