Seule fille d’une grande fratrie, Hilda Doolittle passe son enfance au sein de la communauté morave dont est issue sa mère, expérience qu’elle évoquera dans son ouvrage autobiographique
Le Don. Au cours de ses études secondaires, elle fait la connaissance du poète Ezra Pound, avec qui elle se fiance et rompt plusieurs fois (épisode romancé ultérieurement dans
Hermione). En 1911, elle s’embarque pour la France en compagnie de son amante d’alors, Frances Josepha Gregg, avant de s’établir de façon durable à Londres. Elle y retrouve Pound, qui l’introduit dans les cercles littéraires, où elle fait la connaissance de D. H. Lawrence et du poète Richard Aldington qu’elle épouse en 1913. Elle montre ses premiers poèmes à Pound qui les admire sans réserve et invente pour la jeune femme la signature « H.D., Imagiste », initiales qui deviennent son « sceau royal ». C’est autour d’elle et de Pound que se structure le mouvement imagiste, important (bien qu’éphémère) courant du Modernisme anglo-américain qui, en réaction au symbolisme et à l’art décadent de l’ère edwardienne, prône l’abandon de toute afféterie poétique, la sincérité et la clarté des images, la juxtaposition quasi cubiste de brèves notations proches du haïku japonais. Toutefois, malgré la publication, dès 1925, d’un volume de poésies complètes, H.D. se sent vite prisonnière du rôle d’égérie de l’Imagisme dans lequel Pound a voulu la confiner, entravée par des préceptes poétiques trop rigides pour son imaginaire puissant, dont elle explore avec passion les ressorts à travers son intérêt précoce pour l’occulte et la psychanalyse. Au cours des années 1920-1930, H.D. se tourne vers la prose expérimentale : ses nouvelles mettent en scène des héroïnes semi-autobiographiques aux prises avec leurs voix intérieures, tandis que le roman
Hedylus recrée une Antiquité nourrie d’imaginaire. Tous ces textes lui permettent également d’affirmer son homosexualité. Profondément affectée par la Première Guerre mondiale et par l’échec de son mariage avec Aldington – dont elle a eu en 1919 une fille, Perdita, dans des circonstances qui la laissent presque pour morte –, H.D. se ressource grâce à
Bryher* (pseudonyme de Annie Winifred Ellerman, fille d’un riche armateur anglais), rencontrée en 1918 et qui devient sa compagne jusqu’à sa mort. Commence alors une vie d’expatriée partagée entre l’Angleterre et la Suisse, plus ponctuellement l’Allemagne et la France. H.D. évolue dans les cercles artistiques d’avant-garde, se passionne pour le cinéma. Fascinée depuis longtemps par l’Antiquité et ses mythes, elle voyage en Égypte et en Grèce, y trouvant une source d’inspiration qui ne se tarira pas. C’est d’ailleurs lors d’un séjour à Corfou en 1920 qu’ H.D. avait fait l’expérience d’une vision au cours de laquelle des images lui étaient apparues comme projetées sur le mur de sa chambre d’hôtel, et qui allait devenir presque jusqu’à l’obsession l’une des matrices de son œuvre. Dès 1931 à Londres, H.D. entame une psychanalyse sous la conduite de
Mary Chadwick* ; elle est en 1933 puis en 1934 à Vienne l’une des patientes de Sigmund Freud, thérapie qu’elle relatera après-guerre dans
Pour l’amour de Freud, sans doute l’un des témoignages les plus émouvants sur celui qu’elle appelle « le Professeur » avec un respect teinté d’ironie. Elle se lie d’amitié avec plusieurs psychanalystes de son temps, comme Hans Sachs ou Erich Heydt, qui sera son médecin et confident à la clinique de Küsnacht en Suisse où elle passera ses dernières années et qui lui permettra d’explorer en profondeur les ressorts de sa propre personnalité dans de nombreux textes proches de l’autobiographie. Issu de l’expérience traumatique du Blitz londonien auquel H.D. survécut miraculeusement,
Trilogie rassemble dans ses vers épurés les grandes lignes de sa vie intellectuelle : la Grèce et l’Égypte antiques y répondent à la Grande-Bretagne contemporaine, l’hermétisme et l’occulte y côtoient la religion chrétienne en un syncrétisme consolateur cherchant à redonner du sens à une communauté humaine brisée par les souffrances du conflit mondial. C’est également sur fond de guerre que s’écrit l’ultime recueil publié,
Hélène en Égypte. La polyphonie chorale de ce long poème en trois parties affirme la nécessité de ré-enchanter le mythe depuis une perspective résolument féminine. Ce faisant, elle parachève une œuvre unique dans la littérature du
XXe siècle, dont la richesse et l’importance pour le Modernisme et son héritage restent encore sous-estimées aujourd’hui, même si, en 1960, H.D. fut la première femme à recevoir la « Award Medal of Merit for Poetry » de l’Académie américaine des Arts et Lettres.
Antoine CAZÉ