Artiste majeure de l’expressionnisme abstrait, Helen Frankenthaler marque la transition avec le color field painting. Fille d’un juge de la Cour suprême de justice, Alfred Frankenthaler, et de Martha Lowenstein, elle sort diplômée de la Dalton School en 1945 et étudie au Bennington College dans le Vermont. D’abord inspirée par le cubisme, son œuvre se tourne ensuite vers des thèmes de paysage et reflète l’influence de la peinture européenne. En 1950, elle rencontre le critique Clement Greenberg, dont elle devient la compagne, puis les artistes David Smith, Lee Krasner*, Jackson Pollock, Willem et Elaine de Kooning*, Franz Kline, Adolph Gottlieb, Barnett Newman. En 1953, la présentation du tableau Mountains and See, lors de sa deuxième exposition personnelle à la galerie Tibor de Nagy, souligne un temps fort dans sa carrière. Au cours des années 1950, elle voyage en Europe, où elle découvre Titien, Velázquez, Matisse et Monet. Mariée à l’artiste Robert Motherwell (1915-1991) en 1958, elle divorce en 1971. En 1959, elle fait partie de l’ouvrage collectif School of New York : Some Young Artists, édité par Bernard H. Friedman, expose à la documenta 2 de Kassel, à la cinquième Biennale de São Paulo et à la Biennale de Paris avec Jacob’s Ladder. Sa première exposition rétrospective a lieu en 1960 au Jewish Museum à New York. En 1961, elle participe à l’exposition American Abstract Expressionists and Imagists au Solomon R. Guggenheim Museum de New York. Avec Mountains and Sea (1952), l’artiste met au point la technique du stained color, à travers laquelle la peinture, utilisée comme une teinture, s’imprègne directement dans la toile. Une telle technique, à l’origine du color fied painting, influencera des peintres tels que Morris Louis, Kenneth Noland ou Jules Olitski. Ce tableau abstrait de grandes dimensions utilise une palette assez pâle, rouge orangé, verte et bleue, évoquant les paysages désignés dans le titre. Autre élément marquant : alors que le dessin préalable au fusain, destiné à noter les formes et les couleurs contenues dans le paysage, aurait pu être effacé une fois la peinture terminée, elle le conserve volontairement. Le dialogue de la ligne et de la peinture, l’utilisation de la couleur et le maintien d’une partie de la toile vierge, non peinte, ont fait dire à Clement Greenberg : « Est-ce terminé ? C’est une peinture définitive ? » Une phrase célèbre à propos d’une toile elle-même fameuse. Dans une œuvre de 1958, Las Mayas, elle rend hommage à Goya en s’inspirant de la structure du tableau Mayas au balcon, dont elle a inversé la composition verticalement : plusieurs éléments de l’œuvre du peintre restent identifiables, tels que la grille du balcon, reprise sous forme de coulures vertes ou de lignes tracées avec rapidité, ou le blanc du centre de la toile. Nude, exécutée la même année et de format similaire, renvoie de son côté, dans un style abstrait, à un nu ; seul un rectangle bleu, pouvant figurer une tête par des lignes, suggère un corps. Pour cette toile, la peintre a travaillé à la fois au sol et verticalement ; de manière plus appuyée encore que dans Las Mayas, elle a fait du blanc de la toile un élément majeur, qui donne toute sa luminosité à l’œuvre. Les points, formés par des accidents du pinceau et les lignes tracées d’un geste rapide, constituent, dans les deux tableaux, des éléments dynamiques. Au cours des années 1960, elle modifie son rapport à la forme et à la couleur. Tangerine (1964), décrite comme « la plus abstraite » des œuvres de la même série, est entièrement construite par la couleur : une forme, composée de quatre orangés différents, dont les tons se mélangent dans la partie haute et sont beaucoup plus contrastés dans la partie basse encadrée par du vert, ménage un rectangle blanc, souligné par une bande sombre dans le bas de la toile. Entre la nature morte (la « mandarine ») et le tracé de formes colorées, elle donne un parfait exemple d’abstraction adoptant une qualité descriptive. Dans les années 1970, ses surfaces sont de plus en plus denses et travaillées, comme dans Salome (1978), qui utilise des chevauchements de couleurs beaucoup plus contrastées, sur des surfaces traduisant un mouvement. Les toiles des années 1980 retrouvent une grille cubiste, qu’elles associent à une facture plus spontanée, notamment à travers l’emploi des blancs. À travers toutes ces œuvres, H. Frankenthaler poursuit une carrière de grande peintre, à la fois rigoureuse et sensible.
Marion DANIEL