Issue d’une famille d’origine suédoise, la petite Helene Schjerfbeck pratique les arts plastiques avec précocité et assiduité. Adolf von Becker, membre influent de la Société finlandaise des beaux-arts, autorise la fillette à s’inscrire dans son école de dessin en 1873. En ce XIXe siècle finissant, la Finlande place déjà les artistes des deux sexes sur un plan d’égalité. Nantie d’une bourse gouvernementale, la jeune fille fait ses premières armes en France, où elle se forme à l’académie parisienne Colarossi (1881-1884), avant de séjourner à Concarneau et à Pont-Aven, colonie artistique à la mode avant même la venue de Paul Gauguin, de Charles Laval et d’Émile Bernard en 1886. Ses pochades de l’époque s’inscrivent dans un style réaliste international. Parallèlement à ses scènes paysannes pittoresques mais encore conventionnelles, elle expérimente, dès cette époque, une peinture plus audacieuse : ainsi, La Porte (1884) frappe par son dépouillement, son absence de repères perspectifs et sa monochromie. Simultanément, l’artiste découvre le pleinairisme de l’école de Barbizon : en sont témoins ses paysages forestiers brossés avec énergie au début des années 1880 (L’Allée, 1882-1884). Rapidement, elle se détache de l’apprentissage formel et des sujets normatifs, tout en continuant à pratiquer un style consensuel pour les œuvres qu’elle fait concourir : La Convalescente (1888) remporte une médaille de bronze lors de l’Exposition universelle de 1889, à l’heure où P. Gauguin, É. Bernard, C. Laval et Louis Anquetin dévoilent le synthétisme. On ne sait si, alors à Paris, elle a visité l’Exposition Volpini – première manifestation du groupe impressionniste et synthétiste. Toujours est-il que, dans la foulée de l’Exposition universelle, son style gagne en cohérence. Son oscillation entre naturalisme et pleinairisme tend à disparaître en faveur d’une peinture linéaire, où l’à-plat de couleur pure remplit des arabesques décoratives. Mais, plus qu’aux Nabis, c’est à James Abbott McNeill Whistler (Ma mère, 1902) et à Édouard Manet (Jeunes filles lisant, 1907) que ses peintures, en particulier des portraits, silencieux et monumentaux, font songer. Après 1910, revenue définitivement en Finlande, elle reprend inlassablement les mêmes motifs, donnant plusieurs versions du même tableau à une ou deux décennies d’intervalle. Sa production se cantonne à trois ou quatre genres (portraits, natures mortes, paysages, réinterprétations de tableaux anciens, dont ceux du Greco), délaissant les grands sujets symboliques ou narratifs, typiques de la peinture finlandaise nationaliste d’un Akseli Gallen-Kallela. Elle se concentre aussi sur l’étude de son entourage. À l’instar d’Henri Matisse, qu’elle admire, elle propose la transposition tour à tour coloriste, graphique, décorative ou matiériste d’un thème donné, alternant supports et techniques. Il ne s’agit jamais d’études pour un tableau final mais de variations sur un même thème. Indépendante, elle se tient cependant au courant des révolutions picturales qui agitent l’Europe. À maintes reprises, elle frôle le fauvisme d’un Kees Van Dongen, l’expressionnisme d’un Egon Schiele, voire l’abstraction ; les séries des Compositions de 1915 et des Fenêtres d’église de 1919 trahissent une forte tension entre l’attachement au réel et la tentation de dissolution du sujet. L’amour du quotidien se heurte à la volonté permanente d’expérimentation, de renouvellement des modes de représentation, et à la distorsion. Ce développement expressionniste prend toute son ampleur avec ses autoportraits de vieillesse. Plus encore que le vieux Pierre Bonnard, plus violemment que Edvard Munch dans les mêmes années 1940, elle insiste sur le délabrement du corps en infligeant à son visage une déformation, une simplification destructrice qui abrase, comme de l’acide. Géométrisés, estompés, grattés, tordus, biffés, les traits du visage se réduisent à la sombre effigie spectrale d’Une vieille artiste peintre (1945), ultime face-à-face de la peintre avec elle-même. Travailleuse solitaire, elle suit un parcours d’abord fulgurant puis silencieux, introspectif, celui d’un « moine peintre » tourné tout autant vers l’étude acharnée de la figure humaine que vers la recherche de solutions formelles inédites.
Clément SIBERCHICOT
Consultez cet article illustré sur le site d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions