Le nom de Hilla Becher est, dans l’histoire de la photographie contemporaine, indissociable de celui de son compagnon de route, Bernd Becher (1931-2007). Cinquante ans durant, ils ont partagé leur vie, mais aussi fait œuvre commune. Après une formation de photographe à Potsdam, elle quitte la RDA pour s’installer à Düsseldorf, en 1954. Elle étudie la peinture à la Staatliche Kunstakademie, avant d’y être nommée responsable du laboratoire photographique. C’est là qu’elle rencontre, en 1957, B. Becher, ancien étudiant en peinture et en typographie. Dès 1959, ils débutent leur collaboration artistique, avant de se marier en 1961. Ils signent désormais leur production sous leur seul patronyme, Bernd et Hilla Becher, ou, plus souvent encore, sous le nom de Becher. Leurs travaux débutent avec une série de photographies de mines et de maisons ouvrières de la zone industrielle de Siegen. Dès ces premiers clichés, est mis en place un protocole qui restera pratiquement immuable : à l’aide d’une chambre photographique à trépied, ils réalisent des images en noir et blanc, où le sujet photographié – structure ou bâtiment – est placé au centre de l’image et isolé de son environnement. Le point de vue, légèrement surélevé, permet d’éviter toute distorsion de l’image, tandis qu’un temps de pose long permet une grande profondeur de champ. L’absence de toute activité humaine dans ces images contribue à la caractérisation de cette photographie, dite « objective ». À contre-courant de la photographie subjective qui domine dans l’après-guerre, le travail réaliste et documentaire du couple a ainsi été rapproché de la Nouvelle Objectivité photographique des années 1920, celle d’Albert Renger-Patzsch ou d’August Sander. Des ingénieurs et des théoriciens de l’architecture sont les premiers à se pencher sur ces séries photographiques, présentées sous la forme de grilles orthogonales de 9, 12 ou 15 images, davantage inventoriées par principe typologique que chronologique ou géographique. Leur production a souvent été qualifiée d’« archéologie industrielle », et reçue comme un travail patrimonial, empreint de nostalgie. Pourtant, cette interprétation purement socio-historique a été réfutée par les photographes eux-mêmes qui rétorquèrent que « les machines, par exemple, ne présentent pas d’intérêt visuel pour eux ». Au-delà de l’acte photographique, le classement des images se fait suivant des critères souvent plus structuraux et esthétiques qu’historiques ou géographiques : sa présentation constamment remaniée et enrichie, au fil des publications et des expositions, fait de ce travail un véritable work in progress. La lecture de ces photographies comme un répertoire de formes pures, sorties de leur contexte, a conduit, dans les années 1970, des artistes conceptuels minimalistes américains comme Carl Andre et Sol LeWitt à mettre en avant le travail des Becher. En 1969, leur exposition, intitulée Sculptures anonymes, est organisée simultanément avec une rétrospective d’art minimaliste américain. Cette reconnaissance par le milieu de l’art est couronnée par leur participation en 1977 à la Documenta 6 de Kassel, et, en 1990, par l’obtention à la Biennale de Venise, d’un prix de… sculpture. En 2004, alors qu’on leur remet le prix Hasselblad – la consécration du monde de la photographie –, la dualité intrinsèque de leur œuvre est, une fois encore, soulignée : la photographie systématique de l’architecture fonctionnaliste, dont les images sont souvent organisées en grilles, leur a apporté la reconnaissance des artistes conceptuels, comme celle des photographes. Les Becher ont laissé la porte ouverte à toutes les lectures : artistique, patrimoniale, documentaire. Une manière de prouver, comme l’affirme Jean-François Chevrier dans son ouvrage, Entre les beaux-arts et les médias (2010), que l’objet photographique n’a pas à choisir entre « œuvre ou document ». Cette ambivalence assumée a d’ailleurs constitué leur principal apport à une nouvelle génération de photographes dits réalistes, à partir de 1976, date à laquelle B. Becher obtient le poste, nouvellement créé, de professeur de « photographie artistique » à la Staatliche Kunstakademie. On a pu parler d’une École de Düsseldorf ou École des Becher, tant leur empreinte a été forte sur cette nouvelle génération. Leur travail a été abondamment exposé à travers le monde.
Claire BERNARDI
Consultez cet article illustré sur le site d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions