Ida Applebroog étudie à l’Institute of Applied Arts and Sciences de New York, puis à l’Art Institute de Chicago (1966-1968), ville animée par des traditions picturales autres que celles de l’expressionnisme abstrait new-yorkais. L’artiste reste concentrée sur la figure et des modes de représentation empruntant à des systèmes narratifs – allant de la télévision au graffiti, en passant par la bande dessinée –, bien arrimés au monde trivial répudié par le modernisme pictural. Ses vignettes, séquences, saynètes dessinées ou peintes, théâtralisées par leur cadre – une fenêtre, un écran, des rideaux de scène, les limites physiques d’un panneau – ont souvent traité des incertitudes s’immisçant dans les mécanismes de la communication interpersonnelle : des silences, des trous, des failles, des incohérences et incompréhensions, formant la réalité d’un monde, « dont la signification est en perpétuelle hémorragie » (Cussans 2002). Sa carrière commence en 1972 après son installation à San Diego, où elle enseigne, ce qui lui permet sans doute de rencontrer le féminisme artistique, fort répandu sur la côte Ouest américaine. À son retour à New York, elle expose sa première série, Galileo Works, au Women’s Interart Center (1976) et entreprend de diffuser par la poste une série de livres autoproduits, alors qu’elle s’engage dans la revue Heresies : A Feminist Publication on Art and Politics en 1977. En 1981, sa première exposition personnelle à la galerie Ronald Feldman Fine Arts propose une série de « vues » dessinées à l’encre rouge et au Rhoplex sur Mylar ou vélin, panneaux découpés, où les drames souvent familiaux du sexisme, de l’homophobie, de l’angoisse ou de l’isolement s’insinuent silencieusement entre des stores à demi-clos. L’artiste propose une vision aperçue subrepticement, comme en passant. Par la suite, les panneaux changent de taille, et la peintre fait appel au montage pour composer différents modes de figuration, voire diverses couches de matières, ce qui lui permet de citer et de représenter « toutes sortes d’événements mis ensemble », remplis d’informations contradictoires, afin de réinterpréter la réalité comme un lieu, où il n’y a plus de frontière entre la norme et son dépassement. L’artiste a participé à de nombreuses manifestations internationales, dont les Documenta 8 et 13 à Kassel en 1987 et en 2012.
Élizabeth LEBOVICI
Consultez cet article illustré sur le site d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions