Deux publications parues dès la fin de la Seconde Guerre mondiale ont fait d’Ilse Aichinger l’une des fondatrices de la nouvelle littérature autrichienne après 1945. Son très bref et programmatique manifeste Aufruf zum Misstrauen (« appel à la méfiance », 1946) est alors une exhortation à refuser – individuellement, collectivement – les non-dits, quelle que soit leur nature. Dans Un plus grand espoir (1948), son unique roman largement autobiographique, cette jeune « juive catholique » issue d’un mariage mixte et élevée par des religieuses est parmi les premières à identifier la fiction comme le genre le plus approprié pour aborder la question de la persécution et de l’extermination des Juifs, alors complètement occultée dans son pays natal. Les deux textes annoncent déjà les lignes conductrices de son œuvre, bâtie pendant plus de soixante années de création : une méfiance viscérale envers les mots et leurs possibles abus se traduisant par un inlassable travail sur la langue et le langage, l’appel à une approche impérativement critique de l’histoire et l’absolue nécessité de la transmission de la mémoire. Très tôt, I. Aichinger conçoit aussi sa plus frappante stratégie pour renouveler les genres littéraires, sa théorie du récit « de la fin vers la fin ». Sa transposition dans Récit dans un miroir, récit à rebours d’un avortement raté, lui vaut, en 1952, le prix du Groupe 47. Son mariage avec l’écrivain Günter Eich marque le début d’une période de production féconde où naissent de nombreux récits, poèmes, pièces radiophoniques, aphorismes et micro-réflexions, discours et critiques littéraires, toujours novateurs tant sur le fond que sur la forme. À la fin des années 1990, l’auteure crée une fois encore la surprise en publiant dans le quotidien autrichien Der Standard une autobiographie tout à fait étonnante sous forme de rubrique hebdomadaire intitulée Journal des Verschwindens (« chronique de la disparition »). Lauréate des prix littéraires les plus prestigieux de l’espace germanophone, I. Aichinger vit aujourd’hui à nouveau à Vienne.
Ingeborg RABENSTEIN-MICHEL