Dissa, plus connue sous le nom d’Indo Pino, est née – elle ne le sait pas exactement elle-même – entre 1940 et 1945 au pied des montagnes des îles Célèbes, dans la vallée du fleuve Solato où nomadisait alors sa famille. Elle appartient à l’ethnie des Wana, un peuple de chasseurs-essarteurs des profondes forêts équatoriales de Sulawesi. Elle est l’une des principales femmes chamanes de ce peuple qui ne compte que 3 000 âmes environ, et elle continue à mener la vie semi-nomade de ses ancêtres dans l’immense territoire de sa forêt natale. Jamais elle n’a quitté ni son peuple ni le territoire de son peuple. Du vaste monde extérieur à son territoire ancestral, elle ne sait presque rien et, si elle en sait quelque chose, c’est uniquement parce que des créateurs de ce monde lointain sont venus – et viennent toujours – à elle. Ainsi, au cours des vingt dernières années, cinq films ont été tournés sur elle et ont parcouru les festivals internationaux. C’est à l’intérieur de sa propre société qu’elle crée : maître de la versification improvisée (elle rêve la nuit les poèmes qu’elle scande le jour pour les siens), maître de la musique et de la fabrication des flûtes, maître de la danse chamanique et du Momago, le « rituel chamanique de la forêt », maître de ses esprits alliés, apprivoisés au cours de sa quête chamanique en forêt, elle guérit ses proches et leur insuffle inlassablement sa force vitale. Enfin, sans le savoir peut-être, par l’intermédiaire des films qui ont été tournés sur elle et avec elle, elle l’insuffle aussi jusqu’aux civilisations lointaines – dont la nôtre –, qu’elle ne connaît pourtant pas, et ne connaîtra sans doute jamais.
Martine JOURNET