Le Conseil international des Treize Grands-Mères indigènes est issu de la rencontre de femmes autochtones d’Alaska, d’Amérique centrale, du Nord et du Sud, d’Afrique et d’Asie, pour une retraite à la Maison du Tibet à New York le 11 octobre 2004 ; treize femmes « de prière et d’action » décident alors de « créer un réseau qui redonnerait l’équilibre face aux injustices provoquées par un monde déséquilibré, déconnecté des lois fondamentales de la nature et des enseignements originels fondés sur le respect de la vie ». Le Conseil a organisé depuis diverses actions et ateliers à travers le monde et de nombreux rituels hérités de leurs traditions respectives. Agnes Baker-Pilgrim, la doyenne des tribus confédérées de Siletz dans l’Oregon (États-Unis) – tribu Takelma – est présentée sur le site Internet du Conseil (http ://www.grandmotherscouncil.org/) comme restauratrice de la cérémonie traditionnelle du saumon et porteuse efficace de « la voix des sans-voix » : animaux, arbres et tous êtres existants. Tsering Dolma Gyaltong est née au Tibet en 1929 et a fui en Inde avec sa famille l’invasion communiste de 1958. Accueillie comme réfugiée au Canada en 1972, elle relance, en Inde, la Tibetan Women’s Association (TWA) dont elle établit ensuite 30 branches à travers le monde. Mise en danger par ses critiques du gouvernement chinois à l’égard des Tibétains, elle réside à Toronto comme conseillère de TWA. Buddhi Maya Lama (Tamang, Népal) est appelée Aama Bombo (« Mère chaman »). Bien que son père chaman lui ait interdit sa pratique, elle dit avoir été formée par ses esprits après sa mort. Chaque matin, dans sa maison de Boudhnath, près de Katmandou, elle soigne plus de 100 patients, de la famille royale aux plus pauvres. Margaret Behan (Arapaho-Cheyenne, Montana, États-Unis), alias Red Spider Women, de la cinquième génération après le massacre de Sand Creek, a grandi à la mission catholique et dans les pensionnats du gouvernement. Danseuse traditionnelle dans les pow-wow et sculptrice souvent primée, elle publie aussi poèmes et pièces de théâtre. Elle organise des retraites pour les femmes, les enfants adultes d’alcooliques et codépendants. Elle préside le Conseil des aînés cheyenne dont elle enseigne la culture. Beatrice et Rita Long-Visitor Holy Dance sont oglala lakota (Collines noires, Dakota du Sud, États-Unis), gardiennes des traditions lakota et aînées de la Native American Church. L’une soigne les diabétiques, l’autre fabrique des ornements de perles. Mona Polacca (Hopi-Havasupai-Tewa, Arizona, États-Unis) prépare une thèse au département des études interdisciplinaires de justice et a travaillé sur les questions d’alcoolisme, de violence domestique et de santé mentale chez les personnes âgées amérindiennes. Dona Flordemayo (maya, frontière du Nicaragua et du Honduras) a hérité de ses parents le don de curandera (soigneuse) : elle est danseuse du soleil (sundancer) et étudie avec Don Alejandro Oxlaj, du Conseil maya des aînés, à l’origine du premier rassemblement des prêtres et des aînés amérindiens en 1994. Elle est membre de la direction collégiale de l’Institute of Natural and Traditional Knowledge à San Juan, New Mexico. Julieta Casimiro (Mazatec, Huautla de Jimenez, Mexique) soigne selon la tradition cérémonielle des plantes sacrées Teonanactl. Rita Pitka Blumenstein (Yup’ik, cercle arctique, États-Unis) a grandi à Tununak, en Alaska, puis a suivi une scolarité Montessori à Seattle. Sage-femme et assistante de médecin, elle enseigne ensuite la vannerie de paniers, le chant et la danse à travers le monde. Ayant enregistré et publié de nombreuses conférences sur son enseignement du talking circle (« cercle de parole »), elle est employée par la South Central Foundation comme docteur tribal en plantes et médecine énergétique. Clara Shinobu Iura (São Paulo, Brésil) a étudié la philosophie. Après avoir aidé à la guérison de Padrinho Sébãstiao – leader spirituel de l’une des églises Santo Daime –, elle a été invitée à vivre et travailler dans sa communauté au cœur de la forêt où elle dirige depuis 1999 le centre de soins holistiques Santa Casa de Saúde. Maria Alice Campos Freire est devenue une madrinhas (« marraine ») de la même église pour sa contribution comme médium et guérisseuse. Comme Clara, elle est initiée au culte de possession Umbanda. Fondatrice du centre de médecine de la forêt, elle y soigne avec des plantes amazoniennes et enseigne aux enfants la préservation de la nature et le développement durable. Membre de l’Alliance des peuples de la forêt pluvieuse, elle milite pour la défense des traditions et du patrimoine. Bernadette Rebienot (Omyene, Gabon), née à Libreville, a travaillé comme éducatrice, administratrice d’école et participé à de nombreuses conférences nationales et internationales sur la médecine traditionnelle. Guérisseuse, maître du rite Iboga Bwiti et des initiations féminines, elle préside l’Association of Traditional Medicine Practitioners for Gabonese Health.
« Nous représentons une alliance globale de prière, d’éducation et de guérison pour notre Mère la Terre, tous ses habitants, tous ses enfants, et pour les sept générations à venir », annonce en ouverture le site Internet du Conseil : « Nous sommes profondément concernées par la destruction sans précédent de notre Mère la Terre et la destruction des modes de vie autochtones. Nous croyons que les enseignements de nos ancêtres éclaireront notre chemin à travers un futur incertain. » Chacun est invité à assister à leurs discussions, médiations et bénédictions. Leur héritage ancestral de prières, rites de pacification et de guérison, est leur arme vitale dans leur lutte contre les plaies de notre époque : « La contamination de l’air, des eaux et du sol, les atrocités de la guerre, le fléau global de la pauvreté, la menace des armes et des déchets nucléaires, la prévalence d’une culture du matérialisme, les épidémies qui menacent la santé des gens, l’exploitation des plantes médicinales indigènes, et la destruction des modes de vie autochtones. » Elles veulent pouvoir utiliser leurs plantes médicinales sans restrictions légales et protéger leurs terres. Aujourd’hui, les terres des peuples autochtones – 6 % de la population mondiale mais près de 70 % de la biodiversité – sont convoitées par des multinationales qui confisquent les droits d’exploitation des terres et de leurs ressources sous la forme d’une « biopiraterie » dénoncée par de nombreuses ONG.
Les Treize Grands-Mères ont conçu un tee-shirt avec un cercle à quatre branches : les directions cardinales, les quatre saisons et d’autres éléments associés. Car elles viennent des quatre directions pour rassembler les sagesses anciennes qui ont été fragmentées et les partager avec les non-autochtones. Après avoir reçu un bracelet d’une ambassadrice du Conseil – issue des Sami, peuple nomade, éleveur de rennes –, Janet Weber, ancienne assistante du Conseil, remarque que l’entrelacement de quatre pointes symbolise les quatre directions, mais aussi la terre, le soleil, la lune et le feu sacré. Elle en conclut que si de tels signes existent à la fois chez les Lakota, les Quechua, les Sami ou encore les Celtes européens, c’est que nous partageons tous cette symbolique que les anciennes ont intégrée en apprenant à « lire les signes du paysage ».
S’il est imprudent de généraliser le sens des formes symboliques – qui peuvent être polysémiques –, l’anthropologie nous apprend toutefois que derrière ces formes, il y a des perceptions communes du sacré. Elles ont suscité, au moment de la colonisation, une censure violente de l’Église qui a, par exemple, détruit les objets sacrés aussi bien des Sami, des Amérindiens que des Aborigènes, en interdisant les langues qui traduisaient ce sacré. La nécessaire revendication de préserver la diversité culturelle et linguistique de ces peuples et la réactualisation de leurs sagesses – reconnue par la Déclaration des droits des peuples autochtones signée par tous les pays membres de l’Onu en 2007 (sauf les États-Unis, le Canada, La Nouvelle-Zélande et l’Australie qui ont signé depuis) – s’appuie dans ces sociétés sur le statut des anciens. Inscrite dans cette mouvance de savoirs vivants, la démarche des Treize Grands-Mères n’est pas une redite de la « fraternité universelle » de la théosophie du XIXe siècle ou des mouvements New Age : il s’agit plutôt d’un appel à mettre en commun les héritages autochtones afin de rechercher ensemble des solutions techniques et humaines pour enrayer la dégradation environnementale et sociétale de notre monde actuel.
Barbara GLOWCZEWSKI
■ DOUAIRE-MARSAUDON F. (dir.), Grand-mère, grand-père, la grand-parentalité en Asie et dans le Pacifique : figures, pratiques, parcours, Marseille, Presses universitaires de Provence, 2008 ; FERREUX M.-J., Le New Age, ritualités et mythologies contemporaines, Paris, L’Harmattan, 2001 ; SCHAEFER C., Les 13 Grands-Mères Indigènes conseillent le monde (Grandmothers Counsel the World : Women Elders Offer Their Vision for Our Planet, 2006), Paris, Vega, 2012.