La littérature féminine en Irak remonte à En-hedu-ana*, première poétesse mésopotamienne connue. Dans l’Antiquité, hymnes, poésies et textes sacrés sont déclamés par les femmes entre elles, à l’occasion des naissances, des mariages et des décès. À l’époque préislamique, Salma bint Malik ibn Hudhayfa est célèbre, comme le sont, après la conquête arabe, Layla al-Akhyaliyya (décédée vers 704), Raya al-Salmiya, Aisha bint al-Mahdi, al-Fari’a bint Tarif, Mahbuba ou Dananir. De même, la soufie Rabia al-Adawiya ou Zubayda bint Jafar, épouse du calife Haroun el-Rachid, sont appréciées pour leurs œuvres poétiques. Les six siècles d’occupation turque génèrent ensuite une inculture généralisée et l’oppression des femmes ; seule se fait encore entendre la voix de la poétesse Khansa Khuzai. Les Ottomans contrôlent alors toute production littéraire, et, au XIXe siècle, seuls les maqamat en prose versifiée, qui rappellent l’époque abbasside, sont autorisés à paraître. Il faudra attendre 1920 pour voir s’ouvrir la première école de filles à Bagdad et 1930 pour la création de l’École normale d’institutrices. En 1933, une branche féminine du Croissant-Rouge est créée, suivie, en 1945, par la fondation de l’Union des femmes pour les droits politiques et, en 1958, par le droit de vote des femmes.
Romancières et nouvellistes au XXe siècle
Les premières œuvres féminines soulignent combien la femme est sacrifiée dans son milieu social. En 1937, dans la préface du premier recueil féminin de nouvelles, Sarab al-Amariya pense que « les femmes sont plus à même de transmettre ce que leurs sœurs ressentent ». Durant la même année, dans un style oratoire et moralisateur, Dalal KhalilSafadi publie Hawadith wa’ibar (« incidents et leçons »). En 1948, Malika Ishaq (1925) décrit le dialogue de femmes de générations différentes, qui s’expriment sur leur quête de libération intellectuelle et économique.
L’Irak contemporain limite l’accès des femmes au pouvoir politique, et la Constitution intérimaire signée en 2004 conserve de la charia des mesures qui lèsent leurs droits juridiques. La société irakienne, profondément tribale, ne facilite pas l’émancipation féminine. Soutenant les combats visant à obtenir la reconnaissance du rôle des femmes, les écrivaines irakiennes ont dû affronter les censures cumulées des institutions politiques et religieuses, ainsi que celles des traditions familiales. Elles ont aussi courageusement pris position contre la répression des minorités ethniques ou religieuses. Ce militantisme actif au sein même de leur pays les a parfois conduites au silence, à la réprobation ou à l’exil.
De Safira Djamil Hafez* à Haifa Zangana*, les écrivaines militantes sont légion. Dans les années 1960, Daisy al-Amir (1935) décrit la lutte des femmes pour gagner leur place dans une société machiste ; Samira al-Mana (1935) fonde le magazine Al-Ightirab al-Adabi qui permet à la diaspora irakienne d’être publiée ; Salima Saleh (1942) produit des recueils de nouvelles où elle évoque les femmes recluses. Les nouvelles et romans d’Irada al-Jibouri (1966) décrivent la guerre qui ravage son pays ; Hayat Sharara (décédée en 1995) raconte dans son roman posthume Idha al-ayamu aghsaqat (« quand les jours deviennent crépuscule », 1998) les restrictions et les humiliations infligées aux citoyens sous Saddam Husayn. Les personnages de D. al-Amir, de S. al-Mana, de Nuha al-Radi (1941-2004) sont hantés par la patrie qu’ils ont dû quitter. Maysaloun Hadi (1954) évoque la vie à Bagdad sous les bombardements. Alia Mamdouh (1944), rédactrice du magazine Al-Rachid, décrit les femmes de Karbala ou de Bagdad participant aux luttes nationales des années 1950. Nasira al-Sadoun (1946) milite sous le régime de Saddam Husayn en tant que présidente de l’Association des femmes irakiennes. Buthaina al-Nasiri (1947), fondatrice des éditions Ishtar, raconte les épreuves subies par les familles irakiennes.
Poétesses au XXe siècle
La poésie a toujours été tenue en grande estime par toutes les classes sociales irakiennes. Les poèmes de Fatina al-Naïb (1917-1993) sont lus à la radio. Sabria Nuri Qadir (1928), Nasrine al-Sabounji (1937), poétesses kurdes de Suleymaniyya, écrivent en arabe. Atika al-Khazraji publie, en 1954, un drame en vers, anime un salon littéraire influent, puis se tourne vers la poésie soufie. Rabab al-Kazimi, dont l’œuvre est éditée en 1969, encourage l’éducation des filles. Salma al-Malaïka, mère de Nazek al-Malaïka*, célèbre l’identité irakienne face à l’occupant. Zuhur Dixon (1933) chante le poète martyr soufi Al-Suhrawardi, symbole de l’exil et de l’aliénation. Gulida Nouri (1970) propose une poésie surréaliste et enjouée. Dunya Mikhail (1965) considère Lutfiya ad-Dulaïmi* comme sa mère intellectuelle et lui dédie un poème, « Lestu ana » (« je ne suis pas moi »), pour créer une filiation dans la littérature féminine, tout comme N. al-Malaïka publiera l’œuvre de sa mère. Siham Jabbar (1950) décrit la vie des habitants de Bagdad sous les bombardements ; elle tient à éditer son œuvre dans son pays en guerre, malgré le manque cruel de papier, d’encre et de pièces de rechange pour les imprimeries. En 1980, May Muzaffar (1960) décrit l’attente interminable du retour des prisonniers retenus en Iran et les nuits d’horreur des bombardements. Les vers d’Amal al-Jubouri (1967) prennent alors tout leur sens : « Du fait de la plus longue guerre aux plus courtes/Du fait de votre mort à cette destruction/Toute joie a disparu. » Enfin, Reem Kais Kubba (1967) édite ses poèmes en cassettes audio et obtient le Premier Prix de poésie de Sharjah en 1999.
Christian LOCHON