En 1955, Francesca Serio est la première à oser rompre l’omerta et à demander justice pour mettre un terme à la vengeance du sang (vendetta) et à l’impunité des meurtriers, après l’assassinat de son fils, le syndicaliste Salvatore Carnevale par la mafia sicilienne. Serafina Battaglia reprend le flambeau en 1962, après l’assassinat de son compagnon en 1960, puis de son fils adoptif en 1962, tous deux membres d’un clan. Elle ose porter plainte en suspicion légitime contre le puissant parrain du clan adverse. En désignant le commanditaire et les exécutants, elle brave toutes les règles mafieuses. Sans avocat pour la défendre, mais avec l’aide du juge Cesare Terranova – plus tard assassiné –, elle engage des actions auprès des tribunaux de Pérouse, de Catanzaro, de Bari, et de Lecce. Les accusés seront acquittés « faute de preuves suffisantes », mais ces actes de courage ont valeur d’exemple dans la lutte contre les organisations mafieuses. À la fin des années 1970, dans un contexte de recrudescence des violences, ont lieu les premiers assassinats de « serviteurs de l’État » déterminés à agir : ainsi, le juge Terranova et son garde du corps Lenin Mancuso en septembre 1979 ; le journaliste-enquêteur Mino Pecorelli la même année ; le juge Gaetano Costa en août 1980 ; le général Dalla Chiesa, préfet de Palerme, en 1982 ; en 1983 Rocco Chinicci, magistrat à l’initiative du pool antimafia de Palerme, vont être victimes d’attentats « non élucidés ». Giovanna Terranova, Caterina Mancuso et Rita Costa – trois des épouses – s’élèvent à leur tour contre l’inertie de l’État et des gouvernements régionaux de Calabre et de Sicile. La pétition, dans laquelle elles demandent aux pouvoirs publics et à toutes les forces politiques de régler le problème mafieux, recueille rapidement 30 000 signatures dans les deux provinces. Elles créent dans la foulée un premier Comité des femmes contre la mafia, qui devient en 1984 l’Association des femmes siciliennes pour la lutte contre la mafia. Pour les Siciliennes cet engagement est d’autant plus important qu’elles doivent sortir d’une double mise au silence : leur exclusion de la vie publique et politique – très marquée dans cette société patriarcale –, redoublée par l’omerta et la peur des représailles mafieuses. Les années 1980 marquent ainsi le début d’un mouvement qui connaît une très grande ampleur au début de la décennie suivante. Cette première initiative a déclenché la création de multiples associations, de fondations et de centres contre la mafia – dont le Laboratorio zen insieme, l’organisation Palermo Anno uno, les associations Nuova Resistenza, Palermitana per la pace, Inventare insieme.
Portés par ce mouvement populaire, les juges Giovanni Falcone et Paolo Borsellino ouvrent à Palerme en 1986 le « Maxi-Procès » contre 465 membres de la mafia, parmi lesquels le « parrain » des « parrains ». Pour la première fois, sur la base de témoignages de « repentis » et de preuves bancaires, 360 d’entre eux sont condamnés. Mais en 1992 les deux juges, insuffisamment protégés, délaissés voire diffamés par la classe politique, sont assassinés par Cosa Nostra. De nouvelles actions de femmes se multiplient alors : celles des « Femmes du jeûne » – en grève de la faim pour demander la destitution des politiciens responsables du manque de protection des deux juges –, ou celles du comité des « Femmes aux draps » – exposant à leurs fenêtres des slogans contre la mafia. L’enquête contre ces crimes, relancée dans les années 2000, met directement en cause des institutions et des personnalités politiques italiennes. En 1994, Rita Borsellino, sœur du magistrat, crée Libera, qui coordonne rapidement 730 associations mixtes sur l’ensemble du territoire italien, parties prenantes de cette lutte pour la dignité et le respect des droits humains. À la fin de la même année, le combat des Siciliennes trouve un prolongement en Corse avec les femmes du Manifeste pour la vie*, qui dénoncent également « l’État de non-droit, la dérive aveugle, la peur et les bouches cousues » dans leur île. En 1996, à l’issue d’une pétition d’un million de signatures, Libera obtient le vote par le Parlement d’une loi autorisant l’utilisation sociale des terres et propriétés confisquées à la mafia.
Yvette ORENGO