Jac Leirner, l’une des artistes brésiliennes les plus remarquables de sa génération, grandit à São Paulo dans une famille de collectionneurs. Elle fait des études d’arts plastiques à la Fundação Armando Álvares Penteado entre 1979 et 1984, puis y devient enseignante, de 1987 à 1989. Présentée dans de nombreuses expositions personnelles et collectives au Brésil et à l’étranger, ainsi que dans des manifestations internationales comme la Biennale de Venise et celle de São Paulo, son œuvre se fonde, depuis les années 1980, sur un processus d’accumulation d’objets du quotidien. Réunis au cours de longues périodes, puis organisés et assemblés en des configurations spatiales variées – installations, sculptures et œuvres à deux dimensions –, ces objets relèvent autant du monde dans lequel ils ont été produits et échangés que de l’attitude de l’artiste vis-à-vis de ses collections, et du temps consacré à leur construction. Pulmão (« poumon », 1987) est réalisé à partir de paquets de cigarettes fumées par l’artiste pendant trois ans ; les différents éléments qui constituent le paquet – de l’emballage en plastique jusqu’au ruban d’ouverture – ainsi que deux radiographies pulmonaires de l’artiste sont utilisés comme matériaux dans cette série de travaux élaborés par juxtaposition d’éléments identiques ou similaires : par exemple les paquets, repliés et accolés les uns aux autres, sont traversés par une longue corde, alors que des feuilles en papier laminé sont cousues ensemble en une structure fragile et répétitive. Dans la fameuse série Os Cem (« la centaine », 1985-1987), elle met en scène des milliers de billets de cruzeiros qu’elle a collectés à partir de 1985, et qui ont été dévalués en raison de la forte inflation de l’époque. Si ces sculptures relèvent, par leur forme spécifique et leur syntaxe basée sur la répétition, d’une possible référence au minimalisme, d’autres pièces de cette série mettent en évidence une relation plus subjective avec l’argent : elles présentent en effet les inscriptions laissées sur les billets par de nombreux utilisateurs, qui les ont, de la sorte, personnalisés. « Mon seul sujet ici est l’histoire de l’art [… ] et les artistes qui ont touché mes pensées et sentiments. Je ne peux pas éviter l’économie quand je conçois des œuvres avec de l’argent, mais je suis bien plus intéressée par l’Arte povera et le minimalisme lorsque je les réalise », dit-elle. Ainsi, Os Cem suscite une interrogation sur la notion de valeur – monétaire, symbolique ou affective –, dont un objet peut être investi, et, de ce fait, sur le processus d’attribution de valeur lui-même, que ce soit dans le domaine économique, dans le système artistique ou dans la vie de chaque utilisateur. Au fil de son parcours, J. Leirner a collecté et exploité dans son travail de nombreux objets liés à son expérience du monde de l’art, tels que des sacs en plastique de plusieurs institutions artistiques dans Names (Museums) (1989-1992). En résidence au Museum of Modern Art d’Oxford puis au Walker Art Center de Minneapolis en 1991, elle réunit la correspondance de ces musées, l’organise selon différents critères, et l’assemble en des œuvres comme To and From (MoMA Oxford) (1991). Évoquant le système d’échange d’information nécessaire au fonctionnement du musée, le matériau utilisé se distingue, tout comme l’argent d’Os Cem, par sa capacité à circuler entre différentes mains. Le même trait caractérise les objets prélevés dans des avions, tels que cendriers, couvertures ou couverts, exposés dans la série intitulée ironiquement Corpus Delicti, dont une pièce est présentée en 1992 à la Documenta 9 de Kassel. Des séries plus récentes, comme Adesivos, dans laquelle l’artiste utilise une vaste quantité de stickers de différentes formes, couleurs et origines, montrent la persistance de certaines lignes de force dans son travail, comme son dialogue constant avec des courants de l’art contemporain brésilien et international, mais aussi la part d’autobiographie et de subjectivité qui anime son œuvre.
Giulia LAMONI
Consultez cet article illustré sur le site d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions