Il aura fallu la chute du régime communiste en Bulgarie pour redécouvrir l’œuvre de Jana Jazova dont le nom, très connu dans les années 1930, ne se prononçait quasiment plus durant les quarante-cinq ans de totalitarisme. Issue d’une famille d’intellectuels, elle fait des études de philologie slave à l’université de Sofia et publie, à l’âge de 19 ans, son premier recueil de poèmes,
Jazove (« digues », 1931), suivi, en 1934, de
Bunt (« révolte ») et de
Krăstove (« croix »). Outre l’introspection et l’interrogation sur le rôle de la femme dans la Bulgarie contemporaine, thèmes communs à la plupart des poétesses de sa génération, elle se distingue par son attention pour les laissés-pour-compte d’une société en plein bouleversement dans cette période d’entre-deux-guerres : prostituées, mendiants, jeunes drogués. J. Jazova pressent la montée d’une colère qui pourrait ébranler les fondements de son pays. Elle publie également des romans, dont
Poslednijat ezičnik (« le dernier païen ») et
Kapitan (« capitaine »), tous deux parus en 1940. Très active dans la vie culturelle de la capitale, elle publie des poèmes dans les périodiques littéraires les plus en vue de son époque ; elle écrit des livres pour enfants et leur consacre une revue entre 1941 et 1943. En 1944, après avoir visité la Syrie, l’Égypte, la Palestine et la Turquie, elle achève son premier roman historique,
Aleksandăr Makedonski (« Alexandre de Macédoine »), qui, n’étant pas à la gloire d’une personnalité nationale, ne correspond pas à la stratégie du pouvoir en place et ne sera publié qu’en 2002. L’installation progressive du parti communiste à partir du coup d’État du 9 septembre 1944 entraîne peu à peu la nationalisation des maisons d’édition, le contrôle sur les publications et la censure. Ainsi, la trilogie
Balkani (« Balkans »), consacrée aux luttes de libération de la domination ottomane, est elle aussi interdite, et ne paraitra qu’en 1987-1989. Le très officiel
Dictionnaire de la littérature bulgare mentionne pudiquement en 1982 que l’écrivaine cesse toute création littéraire après 1944. En réalité, elle fait partie du petit nombre d’écrivains qui refusent tout compromis avec le nouveau régime et se condamnent à l’isolement et au silence. Ce qui ne l’empêche pas d’écrire jusqu’à sa mort, survenue en 1974 dans des conditions inexpliquées. Ce sont ainsi six livres, dont cinq romans historiques, qui ne verront le jour qu’à la fin des années 1980.
Marie VRINAT-NIKOLOV