Septième enfant d’un recteur de paroisse, Jane Austen est issue d’un milieu à la vie intellectuelle certes provinciale mais ouverte et généreuse. Elle ne s’associe à aucun groupe d’écrivains de l’époque, ne prête guère attention aux bouleversements politiques et n’attache que peu d’intérêt aux mouvements populaires ou aux débats philosophiques. Le cercle de sa vie et de son écriture se limite à la petite bourgeoisie terrienne et à ses codes de conduite et de bienséances ainsi qu’à la petite aristocratie foncière provinciale qui veut sauver les apparences. La spécificité de ses romans réside dans le point de vue systématiquement adopté de personnages féminins confrontés à la nécessité morale et économique de trouver un mari. Ses héroïnes sont dotées du sens de l’analyse et de perspicacité, d’une capacité de tolérance et de charité, mais, héritière de la tradition satiriste du XVIIIe siècle, J. Austen les analyse avec suffisamment de distance pour conserver un esprit résolument critique. Elle sait détecter les défauts et les travers des êtres humains, leur vulgarité, leurs ridicules, dégageant ainsi une véritable économie de la passion et de la conscience de soi, loin de toute littérature du sentiment, pour une critique sociale mordante servie par un humour décalé et une ironie gaie et légère. Ses romans les plus connus (Orgueil et préjugés, 1813 ; Mansfield Park, 1814 ; Emma, 1816 ; Persuasion, 1818) mettent tous l’accent sur la stabilité sociale, la mesure, la logique raisonnable d’une classe moyenne qui, au contraire de l’aristocratie snob et superficielle, sait résister par ses valeurs aux bouleversements extérieurs qui la menacent. Dans Northanger Abbey (1818), elle dénonce l’absence de bon sens et de raison et l’imagination débordante d’une jeune fille trop grande lectrice de romans gothiques. Mais davantage encore, la romancière témoigne, sans amertume mais avec force, sur la dépendance des femmes à l’égard du mariage, sur le célibat si décrié et la solitude cruelle de la jeune fille en quête de son moi dans une société lourdement patriarcale et sexiste. Certes on peut voir dans son absence de dogmatisme et dans sa bienveillance une attitude résignée, disons plutôt prudente – il s’agit de ne pas mettre en danger les valeurs de l’ordre social – et stoïque, à l’image de son style, parfois un peu trop didactique, mais toujours fin, équilibré, ciselé d’aphorismes ironiques, bref, le style d’une miniaturiste. Elle est le premier écrivain anglais à utiliser le discours indirect libre, expression qui se veut la plus fidèle possible de l’instantanéité des sentiments et de l’interrogation sur soi.
Michel REMY