Jane Harrison doit beaucoup au Newnham College de Cambridge, établissement universitaire pour jeunes filles, créé dans les années 1870. Elle y fait non seulement une partie de ses études, qui devaient la mener aux doctorats de droit et de lettres, mais aussi la plus grande partie de sa carrière, jusqu’en 1922, puisqu’elle est sans doute la première femme universitaire véritablement professionnelle en Grande-Bretagne. Elle travaille d’abord au département des antiquités du British Museum, tout en se faisant connaître auprès d’un très large public, souvent féminin, comme conférencière brillante et originale sur l’art grec. Elle contribue même, dans les années 1880-1910, au développement d’un courant esthétique fondé sur un retour à l’hellénisme, qui s’exprime en littérature et dans les arts, par exemple dans le domaine de la danse avec Isadora Duncan*, dont J. Harrison encourage les premières chorégraphies. C’est toutefois sa contribution à l’étude de la religion grecque, à partir de 1894, qui reste son apport majeur. C’est dans un premier temps en historienne de l’art que J. Harrison aborde l’étude de la religion grecque et des mythes. De façon significative, son premier livre, dès 1882, porte sur les mythes de L’Odyssée dans la littérature et dans l’art. Elle est une des premières à mettre en évidence que les œuvres d’art sont une source, au même titre que les textes, pour la connaissance de la religion grecque dont elle a renouvelé l’étude en intégrant l’apport de disciplines nouvelles. Elle était en effet très ouverte aux changements importants qui ont marqué les sciences humaines au XIXe siècle et au début du XXe siècle, en particulier la philosophie (Nietszche, Bergson), l’anthropologie et la sociologie (Frazer, Durkheim), la psychanalyse (Freud, Jung), et elle fut également influencée par le darwinisme. Ses deux livres majeurs, qui ont connu tout de suite un très grand succès, Prolegomena to the Study of Greek Religion (1903) et Themis : A Study of the Social Origins of Greek Religion (1912), ont fait office de Bible de l’école ritualiste de Cambridge (illustrée par les noms de Gilbert Murray, Francis Macdonald Cornford et Arthur Bernard Cook) qui entend expliquer les mythes comme une mise en récit de rites très anciens. L’approche de la religion grecque développée par J. Harrison a, à son tour, exercé une grande influence sur l’école de Paris (Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet, Marcel Detienne) et davantage encore sur Walter Burkert, un des spécialistes actuels les plus éminents dans ce domaine. Personnalité fantasque, qui détonnait quelque peu dans le monde universitaire britannique de l’époque victorienne, et hors norme (elle connaissait pas moins de 16 langues), J. Harrison a mis sa science et sa notoriété au service de la cause suffragiste. Elle a également gravité autour du groupe de Bloomsbury et influencé Virginia Woolf* (Une chambre à soi lui rend discrètement hommage) qui la considérait même comme son mentor intellectuel.
Jean-Baptiste BONNARD