Khun Phum est, avec sa contemporaine Khun Suwan*, une des premières poétesses attestées du Siam moderne. Sortie du palais aux alentours de 1840, pour, dit-on, des raisons de santé (ou peut-être à la suite d’une liaison), elle anima dans sa maison flottante du Tha Rua Chang Tha Phra un des premiers salons littéraires de Bangkok, couru par les poètes en vogue. Elle est surtout célèbre pour ses sakrawa – ou répliques impromptues, divertissement poétique à la mode sous les règnes des rois Rama III et Rama IV – dont, hélas, peu de choses nous sont parvenues. De sa langue acérée et de sa piquante ironie, K. Phum n’épargne ni les princes ni les roturiers, et elle brocarde les extravagances des grands dans ses « douze vœux amusants ». Elle fut souvent invitée à des réceptions ou à des fêtes dans lesquelles on organisait des parties de sakrawa. Elle y brillait pour le plus grand plaisir des auditeurs, car elle était gaie, fine et spirituelle. Elle savait se moquer sans blesser personne. En 1876, elle fut invitée par le roi Rama V à se joindre à un rassemblement poétique au palais d’été de Bang Pa In. Ce fut sa dernière apparition publique. Elle disparut peu de temps après sans que l’on sache ni la date de sa mort, ni son âge. Dans son poème intitulé Nirat Bang Yi Khan (« poème de séparation de Bang Yi Khan »), la poétesse, devenue vieille et passant en bateau devant sa maison flottante, fait comprendre au lecteur que sa santé n’avait peut-être pas été le seul motif de son départ du palais. Bien qu’elle ait subi les influences des œuvres de Rama II et de Sunthorn Phu, ses vers ne sont pas des modèles de limpidité. Toutefois, lorsque l’on en saisit le sens, ils apportent des renseignements intéressants sur la vie de l’époque et sur le statut de la femme dans la haute société siamoise. Dans son poème Phléng Yao Chalem Phra Kièt (« mélopée d’hommage au roi », 1860), qui est en fait un éloge des rois Rama III et Rama IV, elle raconte que, s’étant retrouvée dans la gêne à la mort de son père, elle vendit ses écrits, devenant ainsi le premier auteur siamois à vivre de sa plume.
Émilie TESTARD