Fille d’une professeure de latin et d’un journaliste de la télévision flamande, Kristien Hemmerechts étudie les langues germaniques à l’Université catholique de Louvain (Kul), puis la théorie littéraire à Amsterdam. Au début des années 1980, elle obtient un poste d’assistante d’anglais à la Kub, filiale bruxelloise de la Kul, où elle soutient en 1986 une thèse sur l’œuvre de l’écrivaine britannique
Jean Rhys*, qui l’influencera. Par la suite, elle sera nommée professeure de littérature anglophone dans la même institution. Parallèlement à ses travaux universitaires, elle participe à des ateliers d’écriture en Grande-Bretagne et publie ses premières nouvelles en anglais. Ses débuts en néerlandais se situent en 1987, avec le roman
Een zuil van zout (« une statue de sel »). Elle obtient rapidement la reconnaissance des milieux littéraires. Auteure particulièrement féconde avec plus de 30 ouvrages, dont une moitié de romans, elle est de plus une personnalité médiatique en Flandre, participant régulièrement à des débats de société à la télévision. Sa vie privée a été marquée par plusieurs drames : la perte de deux de ses enfants en bas âge et le décès de son second mari, le poète et critique littéraire Herman De Coninck. Elle lui consacrera un brillant essai, à la fois biographie et exégèse poétique,
Taal zonder mij (« la langue sans moi », 1998). Ses romans et nouvelles appartiennent à première vue à un réalisme psychologique des plus crus, en prise directe avec les questions de société contemporaines : violences faites aux femmes, marginalité, maladies mentales, déviances sexuelles. Rédigés dans un style sans fioritures, ils racontent les vicissitudes de l’existence de familles éclatées ou recomposées formant une génération sans repères dont l’auteure se fait volontiers la chroniqueuse de toutes les errances. La sexualité féminine est mise en valeur avec une volonté de démasquer les hypocrisies, caractéristique de la démarche de cette romancière, qui traite ses sujets avec une distance mêlée de compassion. Elle dissèque les relations de ses personnages sans illusions ni idéalisme, décrivant leurs souffrances avec une objectivité presque clinique ; ceux-ci sont quelquefois littéralement des « amputés de la vie » (
Anatomie d’un divorce, 1991). Cependant, l’architecture complexe de ses intrigues et une tendance à la symbolisation ainsi que le recours au multiperspectivisme dans la narration lui permettent de s’affranchir des clichés de la littérature de confession (par exemple dans
In het land van Dutroux, « au pays de Dutroux », 2007, vaste tableau caustique de la société belge en plein désarroi au moment du procès du tueur en série pédophile), déconstruisant le roman de mœurs avec une noirceur qui répugne aux bien-pensants.
Dorian CUMPS