Modèle de réussite d’une femme photographe, Laure Albin Guillot a joué un rôle de passeur entre deux générations artistiques : celle des pictorialistes, mouvement artistique qui veut rapprocher la photographie de la peinture, et, dès les années 1920, celle de la Nouvelle Vision, groupe de photographes tournés vers la modernité. Vers 1901, sous l’influence de son mari médecin, cette musicienne et dessinatrice réalise de nombreux clichés de préparations microscopiques de cristallisations et de cellules végétales, qu’elle appelle « micrographies ». Dans un style pictorialiste, elle photographie aussi des paysages, en obtenant un flou léger et vaporeux avec les objectifs Eidoscope et Opale, et soigne particulièrement ses tirages en effectuant des recherches sur les papiers photographiques. Elle commence aussi à photographier sa famille et son cercle d’amis. Très vite reconnue comme portraitiste professionnelle, elle défend le portrait dit « psychologique » : le photographe Emmanuel Sougez, chef de file de la « photographie pure », louera sa sensibilité. Après le décès de son mari en 1929, elle vit de ses commandes de portraits, mais aussi de la photographie de mode et de la photographie publicitaire dans laquelle elle se montre pionnière. Comme nombre de photographes de l’entre-deux-guerres, elle mène de front une activité commerciale rentable et une activité créatrice intense. Œuvrant pour la reconnaissance de son art dans les années 1930, elle fonde la Société des artistes photographes en 1932, obtient avec E. Sougez la création de la section photographique de l’Exposition internationale de Paris de 1937 et projette même la fondation d’un musée de la photographie dans le nouveau Trocadéro. Comme le montre son travail du nu, l’artiste passe d’une esthétique pictorialiste à une esthétique moderniste avec intelligence. Au début des années 1920, elle réalise des nus féminins aux poses et aux cadrages classiques. Mais, entre 1927 et 1934, elle évolue formellement en travaillant les blancs et les cadrages. En outre, elle est, dans les années 1930, l’une des rares photographes à aborder le nu masculin hors du cadre sportif ou allégorique. Dans l’exposition Portraits d’hommes (galerie Billiet-Vorms, Paris, 1935), elle présente des nus audacieux en même temps que des portraits classiques. Ses photographies sont publiées dans Arts et métiers graphiques (1927), dans Vu (1928), et elle participe au premier Salon des indépendants de la photographie, dit « Salon de l’escalier » (1928), aux côtés, notamment, d’André Kertész. Premier salon à se tenir hors de la tutelle de la Société française de photographie (SFP), cette manifestation, qui marque la reconnaissance de la Nouvelle Vision et se présente comme l’héritière d’Eugène Atget et de Nadar, fait la part belle aux artistes cosmopolites et aux femmes. En 1931, le livre de la photographe, Micrographie décorative, qui conjugue science et art en rassemblant 20 planches parmi des centaines de micrographies, devient, malgré son modeste tirage, un ouvrage phare. Outre son exceptionnelle qualité d’impression et la « grande puissance d’évocation » de « ces compositions abstraites, régulières et souvent géométriques », c’est un « nouveau vocabulaire esthétique » qui s’élabore, selon l’historien de la photographie Christian Bouqueret. Dans les années 1930, la photographe appartient donc pleinement au mouvement de la Nouvelle Vision aux côtés de Germaine Krull* ou de Florence Henri*. Comme l’a montré C. Bouqueret, « la publicité aide de façon décisive la Nouvelle Photographie à percer ». L. Albin Guillot réalise ainsi des images avec de gros plans très nets pour les entreprises Renault et pour le magasin Le Bon Marché. Première à défendre ce type de photographie moderne, elle publie Photographie publicitaire (1933). En 1934, elle collabore avec l’écrivain Paul Valéry pour l’édition illustrée du Narcisse, et ses 14 planches de nus masculins rencontrent un franc succès. Elle travaille ensuite avec Pierre Louÿs (Les Chansons de Bilitis, 1937), avec Montherlant, et illustre les Préludes de Claude Debussy. Pionnière, elle ouvre la voie à de nombreuses photographes qui débutent dans les années 1930, comme Yvonne Chevalier*, Ilse Bing*, Ylla ou Rogi André*.
Anne REVERSEAU
Consultez cet article illustré sur le site d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions