Parmi les délégués des 50 pays signataires de la Charte de l’Onu, réunis le 26 juin 1945 à San Francisco, figuraient quatre femmes : Virginia Gildersleeve (États-Unis), Bertha Lutz (Brésil), Wu Yi-fang (Chine) et Minerva Bernardino (République dominicaine). C’est leur détermination qui a permis l’inscription du principe de « respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion [… ] ». L’utilisation du mot « sexe » levait l’ambiguïté entretenue par le terme « homme » occultant la spécificité des femmes.
La Commission de la condition de la femme (1946)
Au cours de la réunion inaugurale de l’Assemblée générale à Londres, en février 1946,
Eleanor Roosevelt*, déléguée des États-Unis, lit une lettre ouverte adressée « aux femmes du monde ». Rédigée à l’initiative de
Marie-Hélène Lefaucheux, membre de la délégation française, cette lettre demande « aux gouvernements d’encourager partout les femmes à prendre une part plus active dans les affaires nationales et internationales, et aux femmes [… ] de participer à l’œuvre de paix et de reconstruction aussi activement qu’elles ont contribué à la Résistance ». La Commission des droits de l’Homme nouvellement créée, présidée par Eleanor Roosevelt, se dote d’une Sous-Commission de la condition de la femme. Le débat s’enflamme : cet organe spécifique ne risque-t-il pas de marginaliser les femmes en constituant des normes contraires au principe de l’universalité des droits de la personne ? La Danoise
Bodil Begtrup*, première présidente de la Sous-Commission, soutient que « les problèmes des femmes doivent maintenant, pour la première fois dans l’histoire, être étudiés en tant que tels à un niveau international et recevoir toute l’importance sociale qui leur est due ». Le 21 juin 1946, la Sous-Commission devient la Commission de la condition de la femme (CSW, « Commission on the Status of Women »), chargée de « préparer les recommandations et rapports pour la promotion des droits des femmes dans les secteurs politiques, économiques, civils, sociaux et éducatifs ». D’autres textes viennent préciser l’étendue de ces droits : la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui (1949) ; la Convention sur les droits politiques des femmes (1952), qui consacre leur droit à voter et à être élues ; la première Déclaration sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (1967).
La Décennie des Nations unies pour la femme (1976-1985)
En réponse aux exigences du mouvement des femmes devenu mondial et dont l’apport, théorique comme pratique, s’est intensifié et enrichi, la Commission recommande de faire de 1975 l’« Année internationale de la femme » et de l’accompagner d’une Conférence mondiale, afin de sensibiliser la communauté internationale à la nécessité de lutter contre des discriminations profondément enracinées. Sur les 133 délégations gouvernementales présentes à Mexico, 113 sont conduites par des femmes. Il y apparaît un écart si considérable entre le principe proclamé d’égalité et la réalité, qu’un premier Plan d’action mondial pour la promotion de la femme est adopté et que la décision est prise de transformer l’Année internationale en une Décennie des Nations unies pour la femme : égalité, développement et paix (1976-1985), présentée comme un « effort international visant à corriger les erreurs de l’histoire ». Dans ce cadre sont créés l’Institut international de recherche et de formation pour la promotion de la femme des Nations unies (Onu-Instraw) et le Fonds de développement des Nations unies pour la femme (Unifem). En 1979, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (
Cedaw*) affirme que la discrimination en raison du sexe « viole les principes de l’égalité des droits et du respect de la dignité humaine, [qu’elle] entrave la participation des femmes, dans les mêmes conditions que les hommes, à la vie politique, sociale, économique et culturelle de leur pays, [qu’elle] fait obstacle à l’accroissement du bien-être de la société et de la famille et [qu’elle] empêche les femmes de servir leur pays et l’humanité dans toute la mesure de leurs possibilités ». D’une modernité saisissante, la Cedaw constitue aujourd’hui encore la plus importante proclamation des droits des femmes et une base d’appui précieux pour l’action. Les deux conférences d’évaluation (Copenhague, 1980 ; Nairobi, 1985) font apparaître l’insuffisance des progrès accomplis. Avec l’adoption des Stratégies prospectives d’action de Nairobi pour la promotion de la femme d’ici à l’an 2000, 127 États membres mettent en place des institutions et des mécanismes nationaux, destinés à assurer la participation des femmes aux processus de décision, au développement et à la gestion des politiques, des recherches et des programmes visant à promouvoir leurs droits.
Les années 1990
La publication, en 1992, de la première compilation de données statistiques sur le rôle des femmes et leur apport à l’humanité vient bouleverser la conscience mondiale : les femmes y apparaissent comme les premières productrices de richesses en même temps que les premières victimes d’un monde qui les exclut. Sans compter l’énergie consacrée aux tâches liées aux soins et à l’éducation des enfants, elles accomplissent les deux tiers du travail humain (l’essentiel de la production non marchande et la plus grande part des activités dans le secteur informel), mais ne reçoivent que 10 % des revenus disponibles et ne possèdent que 1 % de la propriété. Elles jouent un rôle central dans l’amélioration de la santé des collectivités, dans l’alimentation et l’éducation des enfants, dans la protection de l’environnement, mais représentent 70 % des êtres humains vivant au-dessous du seuil de pauvreté et les deux tiers des personnes privées de toute éducation. Dans son étude reprise dans le rapport du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) 1993, l’économiste Amartya Sen évalue à 100 millions le nombre de femmes qui manquent à l’appel de la population mondiale du fait des discriminations qu’elles subissent : avortements de fœtus féminins, infanticides des filles, discrimination dans l’accès à la nourriture, soins médicaux sélectifs, mutilations génitales et autres violences, grossesses et accouchements effectués dans de mauvaises conditions… Cette réalité va se placer au cœur des Conférences de l’Onu des années 1990, toutes axées sur le développement, la survie de la planète et de l’espèce humaine. À Rio (1992), les compétences des femmes pour la gestion des ressources naturelles sont reconnues ; la Déclaration finale de Vienne (1993) inscrit pour la première fois que « les droits fondamentaux des femmes et des fillettes font inaliénablement, intégralement et indissociablement partie des droits universels de la personne » ; la Conférence du Caire (1994) fait du droit fondamental des femmes à la maîtrise de leur fécondité et à la « santé génésique », ainsi que de leur égale participation à la marche du monde, les conditions du développement humain ; à Copenhague (1995) est reconnu leur rôle dans l’élimination de la pauvreté ; à Pékin, enfin, lors de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes (1995), la Déclaration fait des femmes les actrices principales du développement et des processus de démocratisation. La communauté internationale se donne pour objectif prioritaire le renforcement de leur pouvoir d’action dans tous les domaines et à tous les niveaux.
Un tel renouvellement de la vision du monde, sans doute inédit dans l’histoire de la pensée, a été rendu possible grâce à la rencontre féconde entre un mouvement mondial de libération des femmes, dynamique et créateur, et l’Onu, qui l’a accompagné en mobilisant l’ensemble de ses moyens. Pour la première fois, les femmes organisées en ONG par dizaines de milliers sur les quatre continents – elles sont 12 000 à Nairobi et 35 000 à Pékin – ont fait entendre et apparaître sur la scène internationale la voix de la société civile, devenue véritable partenaire des institutions onusiennes. Les ONG ont bénéficié de la présence des femmes déléguées des États, majoritaires parmi les représentants officiels et qui se sont de plus en plus impliquées dans la défense des droits des femmes, et de l’action de l’Union européenne qui est apparue à cet égard comme le continent phare.
Les années 2000 : un constat nuancé
Cette conscience nouvelle des enjeux, les progrès accomplis, les nombreuses lois d’égalité et d’émancipation adoptées sur tous les continents n’ont cependant pas suffi à transformer l’ordre du monde. Sous le triple effet de la crise, des fondamentalismes religieux et de l’absence de volonté politique des gouvernants, les femmes subissent toujours la pauvreté, l’exclusion et la violence. Trop peu de gouvernements ont honoré leurs engagements, et la résistance à la démocratie paritaire naissante est considérable. Malgré la demande de nombreuses ONG, la cinquième Conférence mondiale n’est toujours pas programmée. Cependant, le Programme d’action de Pékin reste à ce jour le plus sûr appui des femmes dans le monde, et, depuis 2000, un protocole facultatif à la Cedaw permet à celles qui sont individuellement ou collectivement victimes de discriminations de saisir la Commission de la condition de la femme. En 2010, l’Entité pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes (ONU Femmes), née de la fusion des instances existantes, se donne pour objectif d’accélérer l’amélioration de la condition des femmes dans le monde. Elle est dirigée, depuis le 1
er janvier 2011, par l’ex-présidente chilienne
Michelle Bachelet*.
Claudine BRELET et Michèle IDELS