Depuis les années 1970, Lynne Cohen développe une œuvre conceptuelle, dont le sujet invariable est celui des espaces intérieurs, vides, photographiés en argentique à la chambre. Étudiante en sculpture au milieu des années 1960, elle s’intéresse à la manière dont les artistes du pop art exaltent le banal, le quotidien et les objets courants, ce qui la conduit à réaliser, vers 1969-1970, ses premiers environnements ready-made : elle délimite physiquement, comme des scènes de crime, des sites qu’elle considère extraordinaires, et explique au public où se tenir et quoi regarder. À la même époque, elle découpe des images d’intérieurs domestiques et de produits de consommation dans des catalogues commerciaux afin de réaliser des estampes et des sérigraphies, avant d’en venir à photographier directement des lieux de particuliers en 1971, date officielle de son premier cliché. Ces premiers tirages contacts en noir et blanc révèlent un regard neutre – une neutralité qui rappellera parfois l’art minimal ou l’Artand Language –, mais l’ameublement et le décor sont néanmoins cadrés dans un souci de composition symétrique.Par ailleurs, son projet n’est pas documentaire : l’artiste est guidée par les sentiments de fascination et de répulsion que suscitent en elle ces espaces banals. À la fin des années 1970, elle abandonne ce thème et se tourne vers des lieux publics tels que les clubs pour hommes ou les salons de beauté. En 1982, elle commence à agrandir ses épreuves pour en renforcer l’aspect sculptural et permettre au spectateur d’entrer physiquement et psychologiquement dans l’espace de l’image. Après avoir longtemps refusé la couleur, elle cède à son usage en 1998 et exploite son rendu peu naturel et l’impression de prise de vue à distance. Ces dernières années, afin de nourrir une réflexion plus vaste et critique sur les lieux de contrôle et de manipulation des individus, L. Cohen photographie des stands de tirs, des salles de cours ou encore les établissements thermaux. Objets ouverts sur le monde, ses photographies en format tableau sont chargées de références à l’histoire de l’art, revendiquées par l’artiste elle-même.
Damarice AMAO
Consultez cet article illustré sur le site d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions