Née en Cochinchine où ses parents sont enseignants, Marguerite Donnadieu fait des études de droit à Paris et travaille au ministère des Colonies à partir de 1937. Elle épouse en 1939 Robert Antelme, rencontre en 1942 Dionys Mascolo, avec qui elle a un fils, Jean, en 1947. Elle participe à la Résistance aux côtés de François Mitterrand, entre en 1945 au Parti communiste français, en est exclue en 1950. Dans les années d’après-guerre, son appartement parisien accueille communistes et intellectuels (« le groupe de la rue Saint-Benoît »). Son entrée en littérature, sous le pseudonyme Duras, se fait en 1943 avec un premier roman,
Les Impudents, mais c’est
Un barrage contre le Pacifique en 1950 qui lui vaut une première reconnaissance du public. Pendant plusieurs années, elle signe avec G. Jarlot de nombreux scénarios. Les lieux qu’elle habite (Neauphle-le-Château, l’hôtel des Roches noires à Trouville) sont associés à son œuvre. Journaliste à partir de 1957 à
France Observateur, elle s’engage dans les événements politiques de son époque, signe en 1959 le Manifeste des 121 contre la poursuite de la guerre d’Algérie, participe à l’insurrection de Mai 1968 et signe en 1971 le
Manifeste des 343* pour le droit à l’avortement. À partir de 1980, elle partage sa vie avec Yann Andréa. Sa recherche esthétique ne se départ pas d’une conception de l’écriture qui trouve son lieu dans l’absence, en écho à la réflexion de M. Blanchot, et dans la nécessité de « raconter une histoire qui en passe par son absence ». À l’horizon du texte se propose un continuel paradoxe : mettre en scène « ce qui n’aura pas lieu et qui comme tel se vit » (
Aurélia Steiner, 1979), « parler de l’impossibilité de parler d’Hiroshima » (
Hiroshima mon amour, 1959). Tout récit se double alors de son possible effacement, tout personnage est auréolé d’une ombre qui menace sans cesse de l’engloutir, incarnant « la mort dans une vie en cours mais qui ne vous rejoindrait jamais » (
Le Vice-Consul, 1966). Témoignant d’un processus orphique, écrire se fait « sur le corps mort du monde » et « sur le corps mort de l’amour », à l’endroit où meurt l’événement qu’il s’agit de raconter pour en « consigner le désert » (
L’Été 80, 1980). D’où cette constante des textes à ressusciter une histoire lointaine, « en allée » dans les territoires improbables de l’oubli ou de la folie. Le dialogue, aussi bien narratif que théâtral, se fait recherche tâtonnante (
Le Square, 1955) qui se résout souvent en constat aporétique : le « mot-trou », hantant le langage durassien (
Le Ravissement de Lol V. Stein, 1964), fragilise la parole des personnages comme le discours des narrateurs. L’absence qui préside à cet univers se double pourtant de son contraire quand la thématique de l’œuvre, centrée sur le motif de la passion amoureuse, ressuscite les grands mythes littéraires (Tristan et Yseult ; Titus et Bérénice), épouse les contraintes de la tragédie classique (
Moderato Cantabile, 1958), et fait du désir, de ses excès comme de ses impasses (
Le Navire Night, 1979 ;
La Maladie de la mort, 1982), le matériau même de la fiction. Ainsi, l’œuvre décline une forme exacerbée de présence (passion, douleur, crime, folie), que prend paradoxalement en charge une écriture du non-dit et du silence, afin que correspondent « l’énormité de la douleur » et « la maigreur des mots » (
Les Yeux bleus cheveux noirs, 1986). De même, dans ses pièces de théâtre, mises en scène par J.-L. Barrault, C. Régy, É. Vigner, R. Wilson et elle-même, c’est « à partir du manque qu’on donne tout à voir », et la scène accueille moins des personnages que des récitants, qui tentent de retrouver une histoire qui n’est pas la leur (
L’Amante anglaise, 1968 ;
Savannah Bay, 1982). Au cinéma, elle réalise des films (
Détruire, dit-elle, 1969 ;
India Song, 1975 ;
Le Camion, 1977) qui mettent en crise la représentation, introduisant une disjonction entre image et son, et œuvrent à une hybridité qui interroge les critères génériques de l’œuvre d’art. Fortement médiatisée dans les années 1980, Marguerite Duras joue un rôle d’intellectuelle sur la scène politique, mais ses prises de position, souvent provocantes (l’affaire Christine Villemin), restent fortement enlacées à la fiction qu’elle ne désavoue jamais. Ce que confirme la publication d’entretiens et d’essais (
Les Parleuses, 1974 ;
Écrire, 1993) consacrés à la littérature. De même, si certains de ses récits sont traversés par l’autobiographie (
L’Amant, prix Goncourt 1984 ;
La Douleur, 1985), c’est sans céder à l’illusion de la transparence, mais, au contraire, en confiant à la fiction le rôle de révélateur d’elle-même. Cinquante années d’écriture feront d’elle une figure centrale de la littérature du second demi-siècle.
Bernard ALAZET