Dans l’Europe du XVIIIe siècle, au temps des Lumières, l’accès aux études supérieures reste interdit aux femmes, sauf en Italie où des « filles de bonne famille » peuvent recevoir une instruction identique à celle des garçons et accéder à l’université. À cette époque, l’université de Bologne, la plus ancienne du monde occidental, se distingue par son nombre d’étudiantes et d’enseignantes. Parmi elles, Maria Gaetana Agnesi, nommée à une chaire de mathématiques en 1750. M. G. Agnesi est née dans une famille de la haute bourgeoisie milanaise. Son père, amateur d’arts et de sciences, offre à ses 21 enfants les meilleurs précepteurs. Elle se révèle particulièrement brillante puisque, très jeune, elle maîtrise le latin, le grec et l’hébreu ainsi que le français, l’allemand et l’espagnol. Elle a 15 ans lorsque son père commence à l’inviter dans son salon fréquenté par des intellectuels italiens et étrangers, où elle débat, le plus souvent en latin, de sujets philosophiques ou scientifiques. En 1738, elle publie un recueil de 191 essais sur la philosophie et les sciences, Propositiones philosophicae, regroupant certaines des thèses qu’elle a soutenues lors de ces joutes oratoires, parmi lesquelles des théories scientifiques récentes, dont celle de Newton. Elle y aborde aussi la question de l’instruction des femmes. Dès 1739, lassée des mondanités, elle manifeste sa volonté de se consacrer à la vie spirituelle et à la méditation, et d’entrer au couvent. Après de longues discussions avec son père, elle parvient à un compromis : rester dans la maison mais vivre une existence retirée et s’occuper de ses frères et sœurs, dont elle est l’aînée. En 1740, le moine et mathématicien Ramiro Rampinelli devient son professeur. Avec lui, elle étudie l’Analyse démontrée (1707) de Charles René Reyneau et entre en contact avec les mathématiciens italiens de l’époque qui travaillent sur le calcul infinitésimal, en particulier Jacopo Riccati. Elle entreprend la rédaction des Institutions analytiques qu’elle soumet à ce dernier. Commence alors une correspondance fructueuse, qui dure de 1745 à 1749. Le pape Benoît XIV, qui avait étudié les mathématiques, la félicite personnellement et la nomme lectrice en analyse à l’université de Bologne. Nommée à la chaire de mathématiques de cette université en 1750, elle n’y a jamais enseigné mais elle est la première femme à en avoir eu l’opportunité. L’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche, à qui elle avait dédié son livre, la récompense en lui offrant des joyaux. Après la mort de son père en 1752, elle interrompt ses activités mathématiques, quitte la maison familiale, renonce à ses biens et s’installe à l’Ospedale Maggiore de Milan. En 1768, l’archevêque de Milan la nomme responsable de la doctrine chrétienne, et à sa demande, en 1771, elle prend la direction du département des femmes dans une institution caritative nouvellement créée. Elle y meurt dans le dénuement.
En 1748, M. G. Agnesi publie les deux volumes des Instituzioni analitiche ad uso della gioventù italiana (« institutions analytiques à l’usage de la jeunesse italienne »). Cet ouvrage constitue une synthèse éclairée et pédagogique des connaissances dans un domaine des mathématiques récent et en plein développement. L’ouvrage se caractérise par sa structure progressive et contient de nombreuses illustrations. Premier texte de mathématiques publié par une femme, il est devenu le texte de référence pour l’étude de l’analyse et du calcul infinitésimal pendant la deuxième moitié du XVIIIe siècle en Europe. Pour le rendre plus accessible, elle l’a écrit en italien, contrairement à ses contemporains, qui publient encore en latin. Elle emploie le langage de Leibniz : « différentiel », « infinitésimal », toujours en usage aujourd’hui, plutôt que les « fluxions » de Newton. Le second tome a été traduit en français par d’Anthelmi en 1775 sous le titre Traités élémentaires de calcul différentiel et intégral. Le premier tome se termine sur trois courbes qui préparent l’introduction au calcul infinitésimal développé dans le deuxième. L’une de ces courbes, la cubique d’Agnesi, est devenue célèbre sous le nom de Witch of Agnesi (« sorcière d’Agnesi »), probablement à cause d’une erreur de traduction en anglais par Colson qui aurait confondu versiera (« tourner ») avec avversiera (« sorcière »). Les Institutions analytiques publiées, M. G. Agnesi se consacre de plus en plus à la religion et à l’aide aux pauvres et aux malades, particulièrement des femmes. Pourtant, sa notoriété et les sollicitations continuent à se développer.
Annick BOISSEAU