Fille d’un général en chef, Marianne von Werefkin reçoit une éducation aristocratique et sa mère, peintre, l’encourage à développer ses aptitudes artistiques. À partir de 1886, elle est, pendant dix ans, l’élève d’Ilya Repine, le plus grand peintre réaliste de l’époque, en Russie. En 1888, victime d’une grave blessure à la main droite, elle invente néanmoins alors un dispositif lui permettant de tenir son pinceau et de continuer de peindre. Surnommée la Rembrandt russe, elle s’éloigne volontairement du romantisme et du réalisme, et tente d’atteindre ses propres objectifs artistiques. Parmi les œuvres de cette période – pour la plupart disparues – figure son autoportrait de 1893 (Self-Portrait in a Sailor’s Blouse, « autoportrait en vareuse »). Par l’intermédiaire de son mentor, elle rencontre Alexeï von Jawlensky, avec qui elle noue immédiatement une relation très forte : il sera le compagnon de sa vie jusqu’en 1921. En 1896, ils partent pour Munich, alors capitale artistique et source du renouveau pictural vers lequel elle tend. Sa maison devient le salon d’une réflexion stimulée par sa brillante personnalité et menée par la confrérie de Saint-Luc, fondée en 1809 par les jeunes peintres de l’Académie des beaux-arts de Vienne, qu’unissent des liens d’amitié et une même recherche plastique. Vassily Kandinsky, Gabriele Münter* puis Paul Klee habitent dans le voisinage. Les sujets abordés sont évoqués dans le journal qu’elle tient entre 1901 et 1905, Lettres à un inconnu (1999), où elle rapporte les réflexions qui poseront les bases de l’expressionisme munichois ; ces cahiers témoignent de son inépuisable quête personnelle et livrent ses considérations sur l’art, à une période où elle a cessé de peindre. M. von Werefkin se consacre en effet assidûment à l’évolution de A. Jawlensky, tout en traversant une profonde crise d’identité morale et artistique. Depuis leur rencontre, elle le soutient dans l’espoir qu’il concrétise l’art nouveau auquel elle aspire. Enferrée dans une conception traditionnelle du génie et soumise aux normes sexuées de la sphère artistique, elle considère que seul un homme peut incarner une véritable révolution stylistique, se jugeant trop faible en tant que femme. Cet état d’esprit est à l’origine de terribles conflits entre eux, envenimés par la liaison que A. Jawlensky entretient avec une de leurs domestiques, avec qui il aura un enfant. Humiliée, M. von Werefkin renonce à peindre pendant un certain temps ; néanmoins, elle poursuit ses réflexions sur une nouvelle forme artistique : « l’art émotionnel ». Étrangère au monde du réalisme et du symbolisme, elle exprime la nécessité d’une peinture qui explore de nouvelles pistes stylistiques, grâce à « la sincérité » des émotions traduites par le peintre. En 1903 et en 1905, elle se rend en France, découvre la peinture de Henri Matisse et des nabis, qui correspond, dans son utilisation des couleurs et du dessin en a-plats, à son idée d’un art nouveau. Déçue par l’œuvre de A. Jawlensky, elle se remet à peindre en 1906, choisit la gouache et la tempera, et découvre une nouvelle force dynamique et lumineuse dans la couleur. Elle opte pour un dessin fluide qui irradie dans ses carnets, illustrés de plus de 400 esquisses. La danse, à laquelle elle accorde un grand pouvoir expressif, y est un sujet essentiel – la peintre est en effet l’amie de Diaghilev (1872-1929) et connaît parfaitement le travail d’Alexandre (1886-1963) et Clotilde Sakharoff (1892-1974). Comme V. Kandinsky à la même époque, elle théorise l’importance d’un rapprochement des arts : musique, danse et peinture. La notion de « nécessité intérieure » du peintre rejoint sa notion de « sincérité » : la peinture, selon elle, doit traduire avec fidélité la résonance et le rythme de l’image, le visible et l’invisible qui la composent, et sa relation avec les couleurs. En 1909, dans son salon, est fondée la nouvelle association des artistes de Munich, réunissant, entre autres, V. Kandinsky, A. Jawlensky, G. Münter, Adolf Erbslöh, Alfred Kubin. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, M. von Werefkin émigre en Suisse. En 1918, elle s’installe à Ascona, où, en 1924, elle crée le groupe artistique Großer Bär et poursuit son travail jusqu’à sa mort, en 1938. Parmi les principaux sujets de ses œuvres conservées en grande partie à Ascona figurent les femmes, souvent représentées au travail ou dans leur vie quotidienne, les passants, le thème du chemin ; les paysages, en particulier les montagnes suisses où elle vécut, sont aussi présents, accompagnés de figures humaines qui symbolisent le regard de la peintre sur le monde.
Chiara PALERMO
Consultez cet article illustré sur le site d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions