Le nom de « Marie de France » a été forgé au XVIe siècle par Claude Fauchet à partir d’un vers de l’épilogue de ses Fables : Marie ai nom, si sui de France (« J’ai pour nom Marie, et je viens de France »). En réalité, nous ne connaissons d’elle que son prénom, Marie, indiqué dans les trois œuvres qui lui sont généralement attribuées depuis le XVIIIe siècle : les Lais (vers 1170), les Fables (vers 1180) et l’Espurgatoire seint Patrice (après 1189). Dès la fin du XIIe siècle, un certain Denis Piramus, clerc qui réprouve l’immoralité des œuvres profanes, fait état de la notoriété de « dame Marie » et du succès de ses Lais auprès du public aristocratique, en ajoutant que comtes, barons et chevaliers aiment à se les faire lire et relire, et qu’ils sont tout particulièrement appréciés par les dames (Vie de saint Edmund, vers 1180). En revanche, on ne sait rien de l’identité de l’écrivaine, sinon ce que ses œuvres révèlent de sa culture et de son environnement. Réalisées plus d’un siècle plus tard, quelques miniatures censées la représenter dans deux manuscrits des Fables ne sont en rien des portraits. Le « noble roi » à qui elle dédie ses Lais est très vraisemblablement le roi Henri II Plantagenêt. La langue même du texte (avec des caractéristiques anglo-normandes), le fait qu’elle cite quelques mots bretons et anglais, la référence à des traditions orales « bretonnes » et sa culture (elle connaît Ovide et les premiers « romans antiques » : Roman de Thèbes et roman d’Eneas, 1150-1160) concordent bien avec le milieu de la cour d’Henri II. Son recueil de Fables, traduites d’un ouvrage anglais que le « roi Alfred » aurait lui-même traduit du latin, est dédié à un « comte Guillaume » qui pourrait être Guillaume de Mandeville, compagnon d’Henri II. Premier exemple conservé d’« ysopet » en français ou recueil de fables à la manière d’Ésope, il inaugure un genre bien attesté au Moyen Âge et fournit la première version française de fables dont certaines sont aujourd’hui encore bien connues grâce à La Fontaine (« Le Loup et l’agneau » ; « Le Corbeau et le renard »). L’Espurgatoire, traduction assez fidèle d’un texte latin d’Henri de Saltrey, moine cistercien anglais, est un récit de voyage vers l’au-delà ; tout imprégné de traditions celtiques, dans la lignée du Voyage de saint Brendan (début du XIIe siècle), il contient aussi l’une des premières représentations du purgatoire, inconnu des auteurs plus anciens. L’œuvre la plus connue de Marie est sans contredit le recueil des Lais, qui en comporte 12, précédés d’un prologue, selon la version la plus complète (conservée dans un seul manuscrit). Ce sont de brefs récits d’amour et d’aventure en octosyllabes, inspirés de « lais » musicaux bretons. Plusieurs d’entre eux sont imprégnés de merveilleux d’origine celtique, et tous s’enracinent dans le folklore de la Grande ou de la Petite Bretagne, comme en témoigne l’onomastique ; cependant, ils sont aussi marqués par l’idéologie courtoise, alors en plein essor. L’auteure réinterprète ces éléments de façon très personnelle : chaque lai constitue une nouvelle variation sur l’amour, un amour idéalisé qui ne peut se réaliser que dans un autre monde réservé aux amants ; ces récits, où il est peu question d’exploits chevaleresques, accordent souvent une place inhabituelle à la parole féminine. Longtemps considérés par les critiques comme une œuvre mineure, les Lais de Marie de France jouissent aujourd’hui d’un grand prestige et apparaissent comme l’une des plus belles réussites narratives et poétiques du XIIe siècle.
Anne PAUPERT