Issue de la grande bourgeoisie viennoise, cultivée et progressiste, Marie Langer fut, dès son enfance, confrontée aux dures réalités de la guerre provoquant la disparition de l’Empire austro-hongrois, qui avait connu son apogée à la fin du XIXe siècle. Elle fit ses études dans une école privée où, grâce à la directrice de cet établissement qui avait fréquenté à Zurich des révolutionnaires russes en exil, elle eut accès à la pensée de Karl Marx et à celle de Sigmund Freud. Après ses études de médecine, et une spécialisation d’abord en anesthésie puis en psychiatrie, elle commence sa formation analytique et participe aux réunions de la Société viennoise de psychanalyse, sans toutefois en devenir membre à cause de ses activités politiques. En 1932, elle adhère au Parti communiste autrichien, tout juste devenu clandestin, et ne cessera dès lors de lutter contre toutes les formes de dictatures. Elle se rend à Berlin où elle complète sa formation avec Helene Deutsch* et Jeanne Lampl-de Groot*. Contrainte de quitter l’Allemagne à la montée du nazisme, elle gagne l’Espagne en 1936, s’engage comme médecin anesthésiste dans les Brigades internationales et rencontre Max Langer, chirurgien militaire. La victoire du franquisme les oblige à émigrer à Montevideo, en Uruguay, où elle donne des conférences pour le comité de soutien aux républicains espagnols. En 1942, elle s’installe à Buenos Aires où elle intègre le groupe qui fondera l’Association psychanalytique argentine, tout en gardant secrets ses liens avec le Parti communiste argentin. Son intérêt pour la condition des femmes l’amène à publier, en 1951, Procréation et sexualité, qui fera date dans l’étude des rapports complexes entre stérilité, maternité et sexualité des femmes. Elle est cofondatrice du groupe Plataforma qui se donna pour objectif de modifier en profondeur la politique de la psychanalyse et les modalités de formation des analystes. Ce mouvement aura des incidences importantes sur l’avenir des sociétés de psychanalyse tant argentines que brésiliennes. Après la conférence « Psicoanálisis y/o revolución social » qu’elle prononça à Vienne, en 1971, lors du Congrès de l’Association psychanalytique internationale (et qui fut publié dans le numéro I de la revue Cuestionamos, à Buenos Aires en 1972), elle démissionne de l’Association argentine de psychanalyse, la situation politique laissant déjà présager une reprise en main militaire. Menacée par un escadron de la mort après le retour de Juan Perón au pouvoir, elle émigre à Mexico où elle poursuit la lutte. Après la terreur imposée par le général Videla en 1976, elle fonde, depuis le Mexique, la brigade Mexique-Nicaragua pour promouvoir des thérapies inspirées par la psychanalyse. Elle ne cesse dès lors de travailler sur les effets psychologiques de l’exil et de la répression. Un an avant sa mort, elle organise à Cuba le premier colloque de psychanalyse sur le thème du suicide. Femme de conviction, allant jusqu’au bout de ses engagements, elle fut de toutes les luttes, mettant tout son courage et sa détermination non seulement à promouvoir la psychanalyse mais aussi à combattre les injustices sociales et toutes les formes de barbarie, qu’elle soit étatique ou institutionnelle.
Chantal TALAGRAND