Après une scolarité interrompue par la pauvreté, Marie Under occupe divers petits emplois, se marie à 18 ans et vit quelques années avec son mari et leurs deux filles dans les environs de Moscou (1902-1906). Encouragée par le romancier Eduard Vilde et le peintre Ants Laikmaa, elle commence en 1904 à publier des poèmes dans la presse et dans les recueils collectifs du groupe Jeune-Estonie. Après sa rencontre avec le futur poète Artur Adson, elle met un terme en 1915 à sa vie conjugale, mais sa demande de divorce est rejetée à cause de l’opposition de son mari, de l’Église et de ses parents. Elle publie son premier recueil de poèmes en 1917 et participe avec A. Adson aux activités du groupe littéraire Siuru (1917-1919) qui, à contre-courant d’une Estonie déchirée par la guerre d’indépendance, exalte l’individualisme, l’hédonisme et la sensualité, en se désintéressant des questions politiques et sociales. Ayant enfin obtenu le divorce en 1923, elle épouse l’année suivante A. Adson. Elle s’impose dans les années 1920 et 1930 comme la plus grande poétesse estonienne et obtient de nombreux prix et bourses qui lui permettent de se consacrer presque entièrement à son œuvre. Sa poésie est traduite en russe en 1937 par Igor Severianine. En septembre 1944, à la veille de la seconde occupation soviétique, elle émigre avec son mari en Suède. Sa renommée s’étend peu à peu au-delà des limites de la diaspora estonienne : sa candidature a été proposée à plusieurs reprises pour le prix Nobel de littérature, et des recueils de ses poèmes ont été publiés en allemand, en anglais, en français, en suédois, en italien et en finnois. Sa poésie de jeunesse exprime dans des formes classiques rigoureuses (notamment le sonnet) l’intensité et la plénitude des sentiments amoureux, la soif de vivre caractéristique de l’époque de Siuru. Le point de vue est éminemment « féminin », comme le révèle la gamme des détails et des images, où une large place est occupée par les tissus légers et vaporeux, les vêtements, les bijoux, les fleurs, les couleurs et les sensations olfactives. Dans la première moitié des années 1920, M. Under subit l’influence de l’expressionnisme : dans ses textes, l’amour cède provisoirement la place à la mort, les fleurs au sang, l’extase à la douleur et à l’angoisse face à un monde en proie à la désolation. Par la suite, le lyrisme retrouve une place prépondérante et la poétesse atteint sa pleine maturité poétique. Ses poèmes intimistes, reflets de ses contradictions intérieures, oscillent entre l’angoisse et l’extase, deux facettes illustrées respectivement par les recueils Hääl varjust (« la voix venue de l’ombre », 1927) et Rõõm ühest ilusast päevast (« la joie d’un beau jour », 1928), qui présentent une poésie sincère et directe. Dans le recueil Kivi südamelt (« la pierre ôtée du cœur », 1935), elle fait un usage plus abondant des symboles pour transmettre une expérience de nature presque mystique, témoignant d’une libération et d’une renaissance intérieures. Ses derniers recueils sont marqués par les traumatismes de la guerre et de l’occupation soviétique, puis par la nostalgie de la patrie perdue.
Antoine CHALVIN