Avant de se vouer pleinement aux arts graphiques, Marisa Merz poursuit des études d’architecture, durant lesquelles elle rencontre son mari, Mario Merz, artiste majeur de la scène italienne de la seconde moitié du XXe siècle. Elle commence à exposer en 1967 à Turin, ville de Fiat et lieu embryonnaire du mouvement contestataire Arte povera (« art pauvre ») qui, dès la fin des années 1960, réunit un groupe d’artistes italiens prenant pour objets d’art des matériaux « pauvres », souvent tirés de la vie quotidienne. En 1968, elle participe avec son mari, Jannis Kounellis et Michelangelo Pistoletto, entre autres, à l’action Arte povera + Azioni povere (« art pauvre + actions pauvres ») et abandonne, sur la plage d’Amalfi, ses œuvres en fil de cuivre ou de Nylon tressé en forme de petites chaussures d’enfant (Scarpette di Bea) ou à l’effigie de sa fille, Béatrice. Dès ses débuts, dans ses œuvres figuratives comme abstraites, elle choisit des matériaux métalliques, emblématiques des artistes du groupe mais aussi des tenants new-yorkais du Minimal Art, mouvement dont elle se démarque toutefois radicalement par le travail qu’elle effectue sur la matière et les formes nouvelles qu’elle crée : elle assemble finement des lamelles d’aluminium, file d’inextricables toiles de Nylon et de cuivre, soumet ces matériaux industriels à une patiente besogne de couture, séculairement attribuée à la femme, qui les rend légers, aériens, inconsistants comme des toiles d’araignée (Sans titre, 1979), organiques dans leurs formes tubulaires ou triangulaires, dans leurs excroissances légèrement irrégulières que toujours ils assument. Ce sont l’attention et la valeur qu’elle accorde aux propriétés intrinsèques des matières, leur rigidité ou leur souplesse, leur malléabilité, leur couleur surtout, qui créent l’univers de l’artiste, poétique, dépouillé, mû par une évidente recherche de beauté. Dès les années 1970, elle travaille la cire et la paraffine, et donne forme à ces matériaux par essence informes. Très présent, le cuivre, à la fois couleur – chaude – et matière, est presque devenu l’antienne (le leitmotiv) de l’artiste. Ces jeux de formes et de matières trouvent leur pleine expression dans ses installations qui rapprochent, à la manière du rêve, des objets a priori épars et dissemblables : des tasses et des fils, des verres, des tables, des pétales de rose, des feuilles ou encore une baignoire où poussent des excroissances végétales d’acier associée à un bloc de paraffine blanc isolé. Ses installations, très souvent « sans titre », posent la question de l’unité de l’œuvre d’art. Elles n’offrent pas une lecture facile mais conjurent (sollicitent) plutôt l’imagination du spectateur, invité dans un monde intime et d’autant plus lyrique que l’artiste prend l’habitude, à partir de 1979, d’y insérer des poésies de sa main. L’imagination est particulièrement stimulée par un ensemble de suggestions sensorielles. Par exemple, l’œuvre Sans titre de 1997 présente un violon-fontaine de cire blanche placé dans un socle de plomb sombre, réceptacle des jeux sonores des jets d’eau que libère le violon. À partir des années 1980, la figure, dessinée et modelée, tient une place considérable dans ses installations. Elle exécute une abondante série de portraits sur toile ou sur papier, au crayon ou au pastel, petits ou très grands. Elle entreprend également une série de têtes modelées en plâtre ou en terre, et expérimente toute une série de formes, jusqu’à abolir pleinement les traits des visages en coulant sur les têtes une cire verdâtre qui évoque lointainement les têtes du sculpteur Medardo Rosso. Souvent colorées (Sans titre, argile polychrome, 1982), parfois revêtues d’un mince filet de cuivre ou d’or tissé, ses têtes modelées, placées sur des mémoires de socles (tabourets, trépieds, chaises) comme le sont ses têtes peintes et beaucoup de ses objets, viennent complexifier les scénographies de ses installations. Malgré la discrétion de l’artiste, plurales et prestigieuses sont les institutions qui lui ont rendu hommage : la Biennale de Venise, la Quadriennale de Rome, le Centre Pompidou.
Anne LEPOITTEVIN
Consultez cet article illustré sur le site d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions