Née d’une mère arménienne et d’un père américain, Micheline Aharonian-Marcom grandit en Californie, dans une sereine ignorance de l’histoire des Arméniens. Talentueuse et non-conformiste, elle enseigne la littérature contemporaine au Mills College et découvre tardivement le génocide arménien, thème qu’elle transforme en argument littéraire et convertit en art. Elle fait un début remarqué avec Three Apples Fell From Heaven (« trois pommes tombées du ciel », 2001), réédité en 2002 et en cours d’adaptation cinématographique. Le titre est la traduction de la sentence finale de la plupart des contes arméniens : « Trois pommes tombent du ciel : une pour le narrateur, une pour l’auditeur, la dernière pour celui qui dit que ce conte est un mensonge.» Exempt de souvenirs personnels, ce roman est une œuvre d’imagination et une construction littéraire singulière par son écriture. Il débute par : « C’est l’histoire que la rumeur raconte. » Le lecteur arménien reconnaît en « la rumeur » l’État turc, qui nie le génocide. Le récit se déroule entre 1915 et 1917 en Turquie ; sous forme de brefs chapitres, les personnages racontent ce qu’ils vivent – qu’il s’agisse d’Anaguil, la jeune Arménienne cachée sous un voile ou de Sarkis, un garçon déguisé en fille, tapi dans le grenier de sa mère, du consul américain Davis, témoin impuissant de l’horreur ou du « bon gendarme », et même des chiens de Bozmachène ! Dans The Daydreaming Boy (« le garçon qui rêve éveillé », 2004), dont la sombre narration est récompensée d’un Pen Award, la romancière met en scène Vahé, un Arménien dont la mère a été violée et tuée lors du génocide de 1915. Après une enfance âpre dans un sordide orphelinat, malgré son aisance matérielle dans le Beyrouth des années 1960, il reste sujet à des hallucinations et à une sexualité œdipienne conditionnée par la disparition maternelle. Avec Draining The Sea (« assécher la mer », 2008), un livre dérangeant, l’écrivaine poursuit à Los Angeles sa quête des effets de la violence politique, à travers les relations d’un descendant de survivants du génocide arménien, et d’une jeune femme, hantée par la tragédie du peuple maya et le souvenir de la guerre civile dans le Guatemala des années 1980. Son ouvrage, The Mirror in the Well (« le miroir au fond du puits », 2008), raconte le brutal éveil sexuel d’une épouse et mère de famille entre les bras de son amant : une histoire banale, mais traitée de façon provocante, à la frontière de la pornographie tant visuelle que langagière. En quelques années, grâce à son style, sa langue et son imagination, la romancière s’est classée parmi les grands écrivains américains contemporains. Elle reçoit en 2012 le prix United States Fellow award.
Anahide TER-MINASSIAN