Élevée dans une famille palestinienne de confession orthodoxe, Mona Hatoum vit entre Londres et Berlin depuis 1975. Dans les années 1980, elle se consacre principalement à la performance et à la vidéo, en s’inspirant de la dimension personnelle et politique de l’exil, de sa nostalgie du pays natal, mais aussi de la colère et de l’indignation face à la dépossession de son peuple : pour l’une de ses premières performances, Under Siege (« être assiégé », 1982), qui évoque la guerre civile du Liban – cause de son émigration –, elle a passé sept heures à se débattre, nue, dans une boîte de polythène transparent remplie de boue liquide afin de témoigner des souffrances de sa famille et du peuple palestinien. Ce travail se prolonge avec la vidéo Changing Parts (« parties changeantes », 1983), qui juxtapose des photographies en noir et blanc de la salle de bains parentale à Beyrouth avec des images d’elle-même extraites d’Under Siege. Selon la critique, cette œuvre, qui transforme un sentiment de sécurité profond en espace de danger et d’enfermement, exprime le besoin – et en même temps l’impossibilité – de revenir dans son pays. Dans la même perspective, la vidéo Measures of Distance (1988) fait entendre en voix off une conversation avec sa mère, interrompue par la guerre du Liban : simultanément, l’image du corps nu de cette dernière se superpose avec celle des passages de lettres envoyées à sa fille, également lues en voix off, et évoquant la douleur de la séparation. Une de ses plus importantes performances vidéo est Corps étranger (1994), que l’on peut assimiler au body art ; le film, tourné avec une caméra endoscopique que l’artiste a ingérée, est projeté sur le sol d’une architecture blanche circulaire et exprime la manière dont les corps sont examinés, attaqués, blessés ou déconstruits. Depuis la fin des années 1980, M. Hatoum se concentre sur la sculpture et l’installation, dans lesquelles les objets de la vie domestique sont mis en scène comme des signes d’aliénation et de menace. Réalisées à partir de matières organiques (cheveux, fluides corporels) ainsi que de matériaux trouvés (ustensiles de cuisine, matelas, verre), ces inquiétantes scénographies gardent toujours des traces d’humour noir et de satire : ainsi, un ancien modèle de râpe à nourriture, qu’elle a agrandi 17 fois, lui a inspiré The Grater Divide (2002), qui ressemble à un paravent. L’électricité et le magnétisme deviennent par la suite des principes et des métaphores pour figurer les dangers tapis dans chaque maison ou foyer moderne. M. Hatoum revisite les dispositifs et l’économie du minimalisme, dans un dialogue soutenu avec des artistes comme Eva Hesse* ou Felix Gonzáles-Torres. De la grille de Light Sentence (1992) jusqu’à Hair Grid With Knots (2006) en passant par Cube (2006), elle propose des variations incongrues et surprenantes de la grille et des cages, ce procédé architectonique, emblématique de l’art moderne, qui représente pour elle claustration et violence : son installation Interior Landscape (2008) montre une chambre semblable à une cellule, remplie d’objets posés sur et autour du lit en fil barbelé, sur lequel sont imprimées des cartes historiques de la Palestine ; cette création combine deux thèmes récurrents dans son œuvre : la grille et la cartographie imaginaire et réelle du monde (Map, 1999) ou du Proche-Orient. Cette dernière région devient le sujet d’une pratique géographique militante, avec des interventions sur les plans urbains indiquant les sites détruits (3D Cities, 2008) ; elle crée, entre autres, pour le Mac/Val de Vitry-sur-Seine, où elle est invitée en résidence, un ensemble de 40 balançoires, dont chaque assise représente le plan d’une capitale ou d’une ville, d’où les habitants et les communautés de cette commune sont originaires (Suspendu, 2009-2010). L’idée d’« être chez soi » devient primordiale, surtout à partir des années 2000. Ainsi, dans l’installation Homebound (2000), l’artiste a rassemblé plusieurs de ses œuvres précoces dans un espace envahi d’objets domestiques déchus de leur rôle fonctionnel : un lit sans matelas, des chaises et des tables vides ; des câbles électriques reliés à des ampoules qui s’allument par intermittence. Perturber la logique des attentes est un des éléments récurrents du travail de M. Hatoum, qui a été récompensée pour l’ensemble de son œuvre par le prix Joan-Miró en 2011.
Nataša PETRESIN